Abbie ¤ I'm off to the races.

Elle court, elle pleure et puis, elle tombe. La fatalité est là, dans ce bout de terre qui s'écroule sur sa joue. Elle souffre mais elle ne dit rien. Abbie se relève aussi prestement que possible, son genou saigne mais elle se remet à courir. Rien ne l'arrête, pas même le bruit de l'orage lointain, encore moins les klaxons de voitures quand elle traverse la route sans regarder ni à droite ni à gauche... La voix qui s'élève quelques mètres derrière elle l'oblige à forcer l'allure, malgré la sensation de vertige, malgré la douleur au creux de ses poumons. Finalement, elle s'effondre contre un arbre alors qu'elle sent quelqu'un s'asseoir à côté d'elle. Le silence, enivrant, la nuit qui s'amène doucement mais sûrement autant dans le ciel que das son propre coeur. Abbie relève finalement le regard et elle est surprise, elle n'attendait pas ce visage, elle n'attendait pas grand chose à vrai dire. Elle repense aux mots  de Mateo, chacun d'entre eux lui transperce le crâne, elle en perd la raison, ses muscles tremblent, sa vision dérive... "Ce n'est jamais qu'un frère... C'était pour la cause, c'est important, Abbie. On doit continuer à se faire entendre. Eddie sortira vite, le plus important, c'est que ce centre commercial ne se fasse jamais, tu comprends?" Les mots lui font mal, elle est en colère et les larmes cessent, pas les tremblements par contre. Elle revient sur Terre lorsqu'elle sent la main de réconfort de son suiveur sur son genou. Elle croise son regard et finalement elle entend sa voix, celle qu'elle avait mis tout son temps à haïr. Des années de travail, pour en arriver au point de départ. "Tu sais à quel point Mat' peut être un sale con quand il est arrêté sur son idée... C'était pas contre toi ou ton frère, c'était juste le bon vieux Mateo essayant de jouer au chef de bande. Tu le verrais dans une cuisine, c'est pas la même histoire... 'J'fais quoi Jo'? Aide moi! J'ai mis des coques d'oeufs dans mes cheveux et bla bla bla'.." Les mimiques accompagnent les mots autant que les mouvements et Abbie se met à rire instinctivement. Elle essuie ses yeux et remet son masque de dureté sur son visage. "Parfois j'me demande pourquoi j'suis avec lui... Mais j'vois pas pourquoi j'te parle de ça, toi le meilleur ami aux commentaires douteux. J'devrais pas t'parler, j'suis censée t'détester, merde j'ai des principes, m'ruine pas ça." Elle blague à moitié mais elle voit Johan se relever et lui tendre la main pour qu'elle en fasse autant. Une fois sur ses pieds, Abbie est de retour à cent pour cent, elle sent la main de Johan sur sa joue et lui donne un bon coup de poing dans l'épaule pour calmer ses ardeurs, question de principes justement. "En fait, c'bon, ça m'est passé, j'te déteste comme au premier jour, toi et ta pseudo Rihanna... C'quoi votre problème, vous les mecs, à vouloir des nanas surfaites? Vous connaissez pas le naturel? Les femmes normales et pas imbibées de fond de teint, ça vous excite pas, c'est ça le deal? Tous des cons, j'le dis, voilà..." Elle marche, les bras croisés, ruminant comme jamais avant que Johan ne vienne lui balancer un tas d'herbes fraîchement coupées sur le haut du crâne. "Ah bordel, ça fait du bien quand tu te tais, t'imagines même pas, j'revis." Et tout un tas d'insultes fusent de la bouche d'Abbie alors qu'elle lui court après, poings devant prête à le castrer si elle arrive à le choper. Après une demie heure de bataille d'herbe, elle s'effondre sur le tas d'herbe, Johan lui chatouillant les côtes avec un épi de blé. Son rire s'éveille, cristallin avant que son expression ne change complètement, passant de l'euphorie du moment à la consternation. "J'devrais pas rire... J'devrais pas être ici, tu devrais pas être là non plus... J'devrais pas... Mon frère est en prison et c'est à cause de moi tout ça..." Et le silence revient, oppressant.

Le cri des cochons l'empêche de se concentrer mais Abbie est là, sur le banc, un pince nez pour cacher l'odeur à ses narines fines. Forcément, un des cochons vient lui pousser les pieds, à répétition et la jeune femme est obligée de fermer so livre pour le regarder, d'un air désapprobateur. "Oscar, c'est pas l'heure de la pitance pour toi alors oust! Pourquoi c'pas Eddie que tu harcèles hein? La solidarité masculine, deux chieurs dans le même délire... Vous feriez un couple d'enfer!" Si Eddie était dans le coin, il lui aurait probablement lancé sa pelle mais ce n'était pas le cas. Abbie a beaucoup grandi ces derniers mois, elle a abandonné son style androgyne, est passé au gothique avant d'adopter un look plus féminin, sans en faire, jamais avec Abbie. Elle quitte le banc lorsque sa mère lui demande de l'aider à préparer le dîner. Abbie est une fille charmante, celle qu'on rêverait d'avoir... Sur le papier. Certes, elle est la première debout pour aider aux tâches ménagères mais elle est aussi la première à recevoir des mots des professeurs dans la boîte aux lettres concernant des débats qui tournent mal ou quelques mots de travers dans la cour de récréation. Elle a ses idées, elle les exprime, question de principe. Par exemple, Abbie a décidé qu'il était hors de question de faire manger des aliments bourrés de conneries aux lycéens alors elle a bloqué le self pendant deux mois, écrit au directeur et provoqué une véritable cohue lors d'un débat pour l'élection du représentant des élèves... Pour elle, c'est une routine. Elle passe  ses dimanches à la SPA du coin, ses samedis à des collectes de fonds en tous genres, elle ne s'arrête jamais. "Chérie, ton amie April a appelé pour ta soirée samedi prochain..." Abbie sourit en mettant le couvert. "Tu parles qu'elle m'a appelé, elle veut juste mettre Eddie dans son lit..." Elle est d'une délicatesse rare parfois, délicatesse qui finit souvent par un regard réprobateur de son fermier de père, accompagné d'une quelconque torture de son grand frère... Une routine presque exaspérante chez les Bradburry.

Elle prend place sur l'estrade, remet son chapeau sur son crâne, déplie sa feuille de brouillon, la regarde, relève les yeux et puis la ferme nonchalamment. Abbie n'a pas besoin d'aide mémoire pour la remise des diplômes, elle n'a qu'à se contenter de suivre son instinct, c'est ce qu'elle a fait durant toute sa scolarité et cela l'a amené ici, après tout. "J'suis sûr que vous vous dites, oh merde, elle va nous balancer un de ses discours ennuyeux sur le fait qu'on est tous amis, que le lycée est la meilleure période de notre vie et bla bla bla... A vrai dire, je tenais surtout à dire.... C'ENFIN FINI! Le lycée, c'l'enfer, du moins, c'ce qu'on ressent quand on y est. On regarde son voisin d'à côté aujourd'hui et on s'dit, bordel, qu'est ce que j'peux pas l'sentir.... Ca, c'le lycée. D'ici deux semaines, on aura oublié le prénom de ce voisin méprisé et tout ça nous paraîtra loin. Et tant mieux. L'aventure commence ici, c'tout ce qu'on dot célébrer aujourd'hui..." Les chapeaux volent. Le moment est déjà fini alors que ses parents la prennent dans leur bras. Eddie est sûrement parti draguer une de ses amies, Abbie n'en tient jamais rigueur. Elle sait où elle va, elle n'a pas besoin de surveiller les faits et gestes de son frère aîné. Abbie va partir à l'université, elle va vivre son rêve et tout sera mieux auparavant, c'est ce dont elle se convainc alors qu'elle sent la tarte lui frapper la joue. Bouche bée, Abbie essuie son oeil pour retrouver le fautif... Johan qui d'autre? "J'vais l'tuer ce p'tit con, j'vous jure que j'vais lui arracher la tête..." Et quand elle dit quelque chose, généralement, Abigail le pense. Elle sort ses petits poings quand on la happe par la taille et la retient. "Eh oh Wonderwoman, abîme pas la face de mon Jo', il en a besoin pour son concours de cuisine demain..." Abbie remet une mèche de cheveux derrière son oreille, le rouge aux joues. Mateo, c'est le rêve de n'importe quelle lycéenne. Avenant, plus âgé qu'elle mais membre de la SPA comme elle, il est celui qui l'a sauvé de se faire arracher la jambe par un pitbull un samedi. "Tu viens à la soirée chez Jo' ce soir?" Le rouge aux jeux prend une autre teinte, la colère est de retour quand elle croise les bras. "Qu'est ce que j'irais faire chez ce minable exactement? A part nettoyer ses murs de mon vomi, j'vois vraiment pas..." Mais Mateo la coupe en posant son index sur ses lèvres . "J't'invite, alors j'compte sur toi..." Et avant qu'elle parte dans un débat stérile sur la face de pet de Johan, Mateo s'en va en lui faisant un clin d'oeil. Dès qu'il a le dos tourné, elle voit Johan se retourner vers elle et lui faire un doigt d'honneur, qu'elle lui rend avec toute la classe dont elle est en possession... Autant dire que c'était pas cela, encore une fois.

Il l'embrasse, elle revit. Personne n'aurait cru quelques années auparavant qu'Abigail aurait le privilège de devenir la petite amie de Mateo. Cela ne s'est pas fait en un jour, avec Abbie, soit elle craquait rapidement et cela durait le temps d'un battement de cils, soit il fallait trois ans pour qu'elle se déride, c'était toute une histoire. Et pourtant, à dix neuf ans, elle est la femme la plus heureuse du coin. Elle fréquente Mateo depuis quelques mois, elle a choisi un cursus de politique à la faculté, tout semble parfait,vraiment... Sauf quand elle sursaute en se détachant de son petit ami à cause de la présence de la face de Johan à moins de deux centimètres de la leur. Forcément, la gifle fuse machinalement et le brun ne prend même pas la peine d'essayer d'effacer la marque rouge qui commence à teindre sa joue. "Mat', t'étais pas censé t'occuper du côté sauvage de Laura Ingalls là? Non, parce que c'foiré là... Regarde moi ça, elle a ruiné mon plus beau profil... J'peux m'venger?" Il voit Mateo hésiter et avant même qu'il ait répondu, Johan la soulève de terre sous les insultes toujours très délicates de la fermière et ses poings qui martèlent son épaule, il court vers le lac et la jette dedans sans ménagement. "Ah bah là, c'mieux, Mat, tu penses pas..." Les mains sur les hanches, Joan toise Abbie qui sort de l'eau, trempée alors que la jeune femme lui fait un doigt d'honneur bien sentie en faisant exprès de s'essorer les cheveux sur ses chaussures. "J'comprends vraiment pas ce que Mateo fout avec toi... T'as rien pour toi, l'accro aux bimbos, sale mioche." Et elle rejoint son petit ami sans plus de cérémonie. Le reste de l'après midi s'écoule alors qu'ils discutent du plan pour le soir même, Johan sifflotant à toutes ces conneries bien entendu... Tout est prêt, cela dit. Quelques heures plus tard, Abbie chancelle alors qu'Eddie s'est rendue. Elle est celle qui a taggué un lieu public, elle est celle qui a vandalisé le futur centre commercial... Elle est fautive mais son frère refuse toute tentative de dénonciation de sa part, forcément. Elle s'assoit sur un banc, les genoux remontés contre sa poitrine alors que Mateo lui caresse les cheveux pour la calmer. ""Ce n'est jamais qu'un frère... C'était pour la cause, c'est important, Abbie. On doit continuer à se faire entendre. Eddie sortira vite, le plus important, c'est que ce centre commercial ne se fasse jamais, tu comprends?" Abbie relève des yeux ronds vers elle alors que Johan apparaît derrière eux, silencieux, sentant qu'il débarquait au mauvais moment. "J'ai pas entendu ce que j'viens d'entendre, non, non, non... C'mon frère, Mat', putain, c'est Eddie! Il a rien fait, on a foutu tout ce bordel, on devrait être en prison, pas lui. T'es dégueulasse, t'es vraiment immonde. J'vois même pas ce que j'fous avec toi quand j'entends des trucs pareils, tu m'dégoûtes, vraiment..." Elle s'est relevée du banc pour le toiser mais finalement, il l'a suivi et elle reste plus petite que lui. "Si j'te dégoûte... Qu'est ce que tu fais encore là, hein? Tu peux déguerpir si j'suis le salaud qui t'empêche d'te rendre... Ah mais non, j'oubliais, t'as pas l'intention d'le faire, c'qui le dégueulasse maintenant?" C'est la colère qui parle, Abbie doit le savoir mais rien n'y fait, elle ne peut empêcher sa fuite, sans se retourner...

Elle ne pense plus à rien, allongée sur le lit, les mains croisés sur sa poitrine, les yeux fermés, un écouteur vissé à son oreille alors que ses pieds tapent contre le bas du lit en cadence. Elle tourne les yeux vers la personne à ses côtés alors que la dernière note émet... Puis, elle sourit. Qui aurait cru qu'Abigail sourirait un jour à Johan? Certainement pas la principale intéressée. Ces dernières semaines ont été riches en émotions, Eddie est de nouveau dehors et la sortie de l'aîné a sonné le glas de la relation de la cadette avec Mateo, d'un coup sec, sans demander son reste, Abbie a juste mis fin à un an d'un amour peu commun. Depuis lors, elle se retrouve à appeler Johan plus qu'il ne faudrait. Après l'épisode de la bataille d'herbe, leur dynamique a évolué. Abigail a été présente quand la pseudo Rihanna du cuisinier l'a foutu dehors alors qu'elle était celle qui le trompait dans l'histoire mais en lui mettant tout sur le dos tout de même. Abbie l'a soutenu comme Johan l'a fait quand Mateo a insulté son frère, plus par maladresse que véritable méchanceté. Et ils en sont là, dans leur séance rituelle d'écoute de Frank Sinatra et autres légendes sans parler pendant parfois des heures avant de se lancer dans une bataille d'oreillers ou autres délires enfantins du genre qui se terminaient par un échange de doigt d'honneur des plus ironiques. "J'en reviens pas que cette chose, c'ta chanson préférée, t'as vraiment les pires goûts du monde, Ingalls..." Le surnom était resté, le coup de poing dans l'épaule était devenu une tradition lui aussi, sauf que celui-ci n'est pas vraiment censé se suivre d'un regard intense échangé. Il n'est pas non plus censé se terminer en baiser, rien de tout cela n'est censé arriver. La gêne attrape Abbie lorsqu'elle se détache des lèvres de son ennemi juré et elle quitte vite la maison. Une fois passe encore, mais cette amitié hors norme promet de nouvelles étincelles même si jamais ils ne parlent de ces élans qui les poussent à s'embrasser comme s'ils avaient besoin de se rattacher à l'autre quelques secondes pour mieux repartir vivre leur vie chacun de leur côté après. Des baisers, rien de plus, peut être parce que le visage de Mateo plane entre eux, ou juste parce qu'aucun d'eux ne pense à plus, ils se contentent de cette facilité là, tout simplement. Parfois, la main d'Abbie termine dans celle de Johan après un doigt d'honneur bien senti, elle ne la lâche pas... Ils sont bien, entre amour et amitié, c'est tout. et Abigail, de toute façon, elle n'a besoin de rien. Juste cela. Elle pense à Eddie quand elle rentre à la ferme. Elle pense à Eddie quand elle lit dans l'enclos à cochons. Elle culpabilise quand elle croise ses yeux mais elle ne prononce pas un mot... Que dire? La nuit vit en elle, c'est tout.