EBBIE ❖ Everybody wants to be an astronaut and take the long tall trail to the stars

Un livre à la main, tentant tant bien que mal de me plonger dans la lecture, je sentais le vent passer dans mes cheveux et je ne cessais de remettre une mèche en place derrière les oreilles. Je ne parvenais clairement pas à me concentrer sur ce livre, et pourtant je l’aimais beaucoup. Peut être étais-ce la bise agréable du vent, ou bien l’odeur fruitée qu’elle apportait. Peut être aussi la bonne odeur de croissants bien frais qui émanait de la boulangerie un peu plus loin. Peut être encore que c’était ce soleil qui me donnait pas du tout envie de rester là comme à mon habitude sous le grand cerisier à continuer ma lecture. « Bon tant pis. » un petit soupir et je fermais avec douceur et délicatesse mon livre. « Ca sera pas pour aujourd’hui. » et je le rangeais dans mon sac.

Je jetais un coup d’œil à mon téléphone pour voir l’heure. Il n’était que seize heures. Ce n’était pas très tard. J’avais pris mon après-midi à la boutique pour pouvoir prendre un petit peu de temps à moi. Peut être que j’aurais du essayer de m’occuper un peu plus du mariage, mais j’avais choisi de prendre un livre et me poser comme à mon habitude, sous l’arbre. Peut être que c’était ce mariage qui me mettait dans un état pareil. C’était bizarre. Peut être parce que je n’ai pas vraiment eu d’exemple « géniaux » de mariage. Peut être parce que je ne sais en définitive pas vraiment ce qu’est l’amour. Mais Logan est quelqu’un de bien. Ça ne fait aucun doute ça. Et je suis bien avec lui, alors pourquoi se poser autant de questions ?

J’avais une envie soudaine. Bizarre peut être, mais soudaine. Smaug. Comme bien (trop) souvent elle hantait mes pensées. Et mes envies. C’était assez illogique parfois, mais aujourd’hui était un de ces jours. Malgré la douleur, les mots, malgré les moments difficiles, je ne pouvais m’empêcher de m’occuper d’elle. Elle était ma mère, et sans moi elle serait seule …

« Maman c’est moi ! » dis-je en entrant dans la maison. Je déposais mon gilet sur le porte-manteau et posais le sac de viennoiserie sur le petit meuble de la table d’entrée. Ca sentait bon le croissant frais et le chocolat coulant. Je refermais derrière moi. On aurait dit que le temps s’était arrêté dans cette maison, figée dans le temps. D’un pas lourd j’entrais dans la cuisine. Le sac de la boulangerie dans les mains. « J’me suis dit qu’on pourrait faire comme quand j’étais gamine, je m’suis arrêtée à la boulanger- » mais c’était pas ma mère attablée dans la cuisine, c’était le jeune en TIG qui s’occupait d’elle. Sur le coup je l’avais totalement oubliée, bloquée dans mon souvenir d’enfance que je tentais de revivre. « Eddie ! » dis-je surprise. « Pardon, je ne m’attendais pas à vous voir ici » et pourtant c’était logique … nerveusement je passais une main dans mes cheveux. « Elle est déjà à la sieste, c’est ça ? » demandais-je constatant qu’il n’y avait aucun bruit dans la maison. Haussant les épaules un peu déçue je baissais les yeux sur mon sachet intact. « Bon bah tant pis, vous lui direz que je suis passée, et que j’ai déposé ça ? » dis-je en désignant le paquet avant de le poser sur la table.

« Mais comment t’as réussi ton merdier? » Il reste planté là, dans le couloir, les yeux vissés sur la porte de la salle de bain, un geyser qui part du robinet de la baignoire et éclabousse la pièce, mouille les tapis. Le seul truc qu’il arrive à se dire c’est qu’il a de la chance que toute l’eau ne se répande pas par terre, mais principalement dans la baignoire. « Sérieusement.. » Elle, elle le dévisage en riant, le tuyau du pommeau de douche dans la main, qu’il a pourtant vu le type, venu l’installer quelques jours avant, le coincer à grands renforts de coups, de cris et de colle extra-forte spéciale. Il hésite à rire, se contente de sourire et en même temps il a juste envie de plier le tablier, le jeter au sol et rentrer chez lui. Pourtant il reste là, à la fixer alors qu’elle danse sous les gouttes d’eau qui lui trempe les cheveux, qu’il a mis un temps fou à lui laver le matin même et il secoue la tête, dépité, remonte ses manches et s’élance dans la salle de bain, armé d’un sourire et de ses muscles. « Tu m’en veux Henri.. Sois pas fâché, je l’ai fais pour nous. » « Je vois pas en quoi péter la baignoire c’est supposé me rendre service, mais merci! » Elle s’agrippe à son épaule alors qu’il essaie de minimiser les dégâts, surtout de lui éviter de tomber; pas pour qu’elle se blesse pas, parce que les vieux ont les os fragiles de ce qu’il a lu dans un magazine féminin à la con, mais pour éviter que ça ne lui retombe sur le coin de la gueule et qu’on ait en tête de rallonger sa peine.. Ou de l’enfermer à nouveau. Eddie grimace deux secondes, en se disant que ça devrait être à Abbie de faire tout ça, juste histoire qu’elle se foute du plomb dans la tête, mais il culpabilise aussitôt. « Je vais te préparer un petit plat, ton préféré, Henri! » Il l’entend à peine, le conduit qui continue de vomir des trombes d’eau près de son oreille, la tête qui menace de se dévisser de son cou alors qu’il se contorsionne dans tous les sens pour tenter d’arrêter le problème, avant de courir comme un dératé dans la maison pour couper l’arrivée d’eau, un soupir qui pend à ses lèvres quand le torrent cesse de faire du bruit. Il respire enfin, du moins un peu et pour un temps indéterminé parce qu’il voit clair chez la vieille Cavendish; c’est encore un de ces mauvais jours, où elle est pas foutue de se concentrer deux secondes sur un truc simple, où elle parle constamment sans que ça ait de sens réel et, en plus, elle court partout. Ça lui rappelle un peu sa soeur, quand elle apprenait à marcher et qu’au lieu de faire un pas l’un après l’autre, lentement, elle voulait courir à vive allure dès qu’on la surveillait plus. La différence c’est qu’Abbie il aurait réussi à la calmer avec un puzzle, Dorothea, elle, c’est à peine si elle s’est pas mise à manger les pièces l’une après l’autre. En même temps, il a pas eu une idée de génie, Eddie, en lui demandant de refaire le modèle de la boîte; une nature morte, avec des poires qu’il aurait lui-même bien aimé croquer.

C’est trop pour lui et il faut clairement pas être ultra sensible, ou sortir d’Harvard, pour comprendre qu’il aimerait être n’importe où sauf ici. A surveiller une femme dont le cerveau s’échappe par tous ses orifices, ses neurones qui se déconnectent et la maladie qu’elle envenime de ses bouteilles d’alcool qu’il trouve encore parfois en faisant du rangement approximatif. Maintenant moins, elle a accepté le deal, qu’ils doivent garder entre eux; elle a le droit à un verre, seulement si Eddie est là et qu’il l’accompagne. C’est moins triste que de boire seul, c’est tout ce qu’il dit. Faut dire qu’il l’a un peu cerné la Dorothea et il en a retenu un fait frappant; elle est pas heureuse et, sans doute, ne l’a-t-elle jamais vraiment été. Ça lui fout le moral dans les pompes, parce qu’il se dit que ses enfants méritent pas forcément de porter son malheur, mais on lui demande pas son avis, lui il doit juste faire en sorte qu’à chaque fin de journée, elle soit encore entière et pas trop amochée.

Il lui faut deux heures pour réussir à la calmer, entre sa tentative de faire cuire des tomates en conserver - c’est-à-dire en mettant la boite de conserve dans le four - et celle d’essayer de l’emmener dehors danser une polka.. Quand elle tente pas de lui mettre des baffes. Y a qu’à l’arrivée du médecin qu’elle se radoucit un peu, accepte de monter dans sa chambre sans broncher pour que le type en blouse blanche puisse prendre sa tension et tout le bordel. Eddie se dit qu’il devrait prendre la sienne aussi, parce qu’il est certain d’être au bord du coma; cette sensation terrible d’avoir couru un marathon qui lui endort les chevilles. « Je vous attends là, moi… » Et l’attente se mue en un temps de repos où, les bras croisés, il enfourne sa tête au creux et s’endort un peu, vite réveillé par la porte qui claque et une voix qui le tire de son sommeil bien mérité. « Mademoiselle Cavendish.. » Il sait pas pourquoi, mais il a le besoin pathologique de se la jouer serviteur poli et diplomate dès qu’elle entre. peut être parce qu’il aime pas la manière qu’elle a de dire son prénom et de le vouvoyer derrière. Il se sent misérable, lui le vilain hors-la-loi, elle la gentille demoiselle évoluée. « Hein ? qui ? Ah oui.. Non. La visite du médecin. Et il sait pas s’il doit se sentir soulagé qu’elle ait envie de repartir ou vexé qu’elle ait ce besoin pathologique de se tirer quand il est là. Pouvez peut être rester, non ? Pour voir ce que le doc a à dire sur la santé de votre mère.. Enfin sauf si vous avez mieux à faire hein.. » Il ajouterai bien un « je vous juge pas », mais c’est exactement ce qu’il est en train de faire alors qu’il se lève pour approcher des paquets qu’elle a laissé à l’abandon, dans le but de les ranger.. Parce qu’il sait que si la vieille les voit, il va devoir passer trois heures à lui courir après pour tout récupérer et mettre hors de sa portée. « Puis vous savez.. Ça, il baisse les yeux vers sa propre cheville, ornée par le bracelet électronique. C’est pas contagieux. Alors pouvez rester dans la même zone que moi.. Promis, ça vous sautera pas au visage.. » Il se veut moqueur, mais il est pas bien méchant, juste pas doué.

C'était difficile de donner le change. J'aurai bien aimé pouvoir vivre normalement et sans mensonges. Et pourtant dès que je pensais ce genre de choses, je m'en voulais immédiatement, il y avait toujours beaucoup plus de personnes plus malheureuses que moi. C'est certain. Au moins j'avais un métier, une voiture, des amis, et même un fiancé. Alors oui, j'avais une mère qui avait perdu la boule. Littéralement. Qui, j'en avais peur un jour, contacterait peut être l'Alzheimer. Mais elle était toujours là. Au moins. Et mon père, même s'il était parti, il était aussi toujours là. Je veux dire, toujours en vie. Il n'était pas mort. J'étais pas orpheline. Mes frères et soeurs, même si j'aurai peut être aimé plus de reconnaissance de leur part, ils étaient là, je n'étais pas non plus enfant unique!? Et puis j'étais fiancée. Logan, même s'il ne connaissait pas tout de ma vie, il m'aimait, et avec sincérité. J'pouvais pas me plaindre, non j'avais pas à me plaindre. Il fallait juste se lever tous les matin, et ... avancer, c'était tout.

Et il y avait ces moments ou je me souvenais de mon enfance. De ma mère avant que ce mot assassin «Bipolaire » vienne tout foutre par terre et détruire un moment de nos vies. Parce que c'était bel et bien ce que ça avait fait oui. Ces moment où nous avions une complicité réelle elle et moi. Car nous l'avions été. Nous avions nos petits rituels ensemble. Et par exemple celui dont je me souvenais cet après midi. Les gouters ensemble. Quand nous étions encore presque seules, qu'Ems était au cours de danse et Jo' faisait la sieste à l'étage. Elle nous préparait des bons chocolats chaud, et allait acheter deux pains au chocolat et deux croissants. Et on s'asseyait dans la cuisine pour discuter, de tout, de rien. Pour chanter ou que je lui raconte le dernier livre que j'avais lu. Mais voila, elle n'était plus vraiment encline à ce genre de moment de complicité ensemble. C'était plus possible et il fallait bien que je m'y fasse. Pourtant j'essayais. Mais elle n'était pas là. A la place il y avait Eddie. Il était la. Bien sûr. C'était ce pour quoi il était payé. Ou pas. Ah oui en TIG il est pas payé. Ça doit surtout lui éviter d'être en prison ou autre chose? Non? Bref, en vrai ça me change pas grand chose à moi. Il était là quoi. Au moins il s'occupait de maman, c'était ce qui comptait le plus. Je ne pouvais pas faire tout toute seule. C'était un sacré poids en moins qu'il soit là, et peut être que je devrais le reconnaitre.  c« Mademoiselle Cavendish.. » je hochais de la tête en le regardant assis à la table. Il avait l'air fatigué. Chose que je pouvais tout à fait comprendre, passer du temps avec ma mère était ... épuisant oui. J'essayais de lui donner un sourire sincère. Un sourire qui voulait dire merci. Mais j'étais pas assez habituée encore. C'était pas que je ne le remerciais pas, ni que j'avais peur du fait qu'il soit un délinquant. J'm'en tapais complètement de ça. C'était peut être le fait simplement qu'il connaisse le secret le plus intime que je possède. C'était ça qui me gênait plus que tout. Lui n'avait pas la Debbie des apparences. Lui avait la vraie Debbie en face de lui.

« Hein ? qui ? Ah oui.. Non. La visite du médecin. Pouvez peut être rester, non ? Pour voir ce que le doc a à dire sur la santé de votre mère.. Enfin sauf si vous avez mieux à faire hein.. » je soupirais. « Oh.  » avant de froncer les sourcils. Mieux à faire? J'avais probablement milles choses mieux à faire oui, bien sûr. « Non je vais attendre. Je passe tous les jours.  » dis-je sur un ton de reproche pour lui signifier que si lui était là par obligation, moi j'étais ici par choix. Je le regarde se lever et prendre le sac. « Vous n'aurez qu'à les emporter chez vous. Ils sont bons.  » dis-je avec un léger  petit sourire. « Puis vous savez.. Ça ...C’est pas contagieux. Alors pouvez rester dans la même zone que moi.. Promis, ça vous sautera pas au visage.. » je me mis à rire. « Non je sais bien.  » dis-je en me détendant un petit peu. Il n'était pas désagréable. C'était certain.

Finalement je me ravisais et retournais vers la table de la cuisine et posais mes mains sur le dossier d'une des chaises. « Vous voulez participer au rituel avec moi ?  » demandais-je doucement en désignant le paquet de viennoiseries. « Elle s'en souviendra pas de toutes façons, alors ... autant que quelqu'un en profite.  » dis-je avant de me retourner vers l'armoire ou je pris deux mugs et une grande casserole. « Enfin, je vous forcerai pas à m'accompagner.  » ajoutais-je avant d'aller prendre le lait dans le frigo. Et puis il fallait bien attendre que le médecin revienne avec le bilan journalier.

Il comprend pas, peut être même qu’il pourra jamais comprendre parce que sa vie à lui, même s’il a longtemps pris le parti de s’en plaindre au moindre faux pas, n’est pas si terrible. Ça lui a pris comme ça, de décider qu’il était pas si mal loti que ça, en regardant Dorothea Cavendish, accroupi près de son lit, le matin, à essayer de faire des tresses avec ses draps; le regard d’Eddie faisant l’aller-retour entre les portraits de jeunesse d’une femme splendide et la vue, terrible, d’une vieille échevelée qui passe du rire aux larmes, parfois aux coups, en un claquement de doigt. Qu’est-ce qu’un an derrière les barreaux, quelques mois de travaux pour payer ses dettes à la communauté, contre le reste d’années de cette femme dans un corps où tout va bien mais avec un cerveau qui fait défaut. Il a pas pitié, parce qu’il fait parti de ces mecs qui trouvent qu’y a pas pire sentiment que celui de la pitié, mais il compatit; c’est peut être pour cette raison que le courant passe si bien entre eux, quand elle essaie pas de lui rouler des pelles pour un oui ou un non, ou qu’elle veut pas lui mettre la tête dans le broyeur de la cuisine. Eddie aurait jamais cru penser ça un jour mais, finalement, cette vieille il l’aime bien et c’est ça qui le désole; parce qu’il est là trois jours par semaine, que quand il part le dimanche en fin de journée et qu’il revient le vendredi matin, rien n’a vraiment bougé de son dernier jour et que comme il voit rarement les enfants quand il est là, il en conclut qu’ils doivent pas non plus faire l’effort en son absence. Sauf la grande blonde, mais en l’observant, Eddie en est venu à se demander si elle faisait pas ça pour s’infliger une quelconque punition, plus que pour le plaisir de renouer avec une mère qui la reconnait deux fois sur trois, quand les neurones qu’elle a fini d’achever par l’alcool ne partent pas en sucette. C’est triste. Cette maison transpire les souvenirs d’un bonheur qu’il commence à se demander s’il n’était pas surjoué, d’un passé révolu auquel la jeune femme s’accroche quand sa propre mère semble en avoir totalement fini avec.

L’ennui c’est qu’il est pas là pour jouer les assistantes sociales, ou les psychiatre à deux balles, alors il s’intéresse bien moins à la fille et plus à la mère. Pas qu’il s’en foute de ce que peut bien vivre Debbie, ni même de ce qu’elle doit souffrir en le vivant, mais il est clairement pas ici pour faire son ménage à elle, ou lui coiffer ses putains de cheveux trop fins à elle. Alors c’est peut être pour ça qu’Eddie se sent obligé d’être un peu brusque avec elle, un peu froid, pour lui faire comprendre que son rôle n’est pas de jouer les médiateurs, ni l’épaules sur laquelle pleurer parce que la vie est trop dure. De là à savoir si ça lui donne le droit de se permettre certaines réflexions, pas vraiment.

« Très bien. » Il sent le reproche dans sa voix et il sourit; elle a tous les droits de réagir comme ça, Eddie la juge clairement et il peut pas s’empêcher de continuer à le faire. La différence est flagrante entre eux et leurs raisons d’être ici, c’est sûr, mais il peut pas s’empêcher de se dire que celui des deux qui apprécient le plus d’être présents dans cette maison, ça doit être lui. Parce qu’il y est pas attaché, sans doute, qu’il y a pas connu de bonnes et de mauvaises choses. « Non merci, j’ai déjà de quoi me nourrir chez moi. » Il sait pas pourquoi il réagit comme ça; peut être parce qu’il prend toujours ce genre de proposition comme de la pitié. Après tout c’est un délinquant, alors fatalement il doit vivre dans un truc minable et pas pouvoir se nourrir à volonté. Sans doute qu’il extrapole, mais il est comme ça Eddie. Il sourit quand même en l’entendant rire et relâche le pan de son pantalon pour qu’il retombe sur le bracelet de cheville, avant de la regarder, un peu de travers. Ce genre de goûter, déjeuner, il sait pas trop ce que c’est, il a arrêté d’en faire à ses douze ans, même avec Abbie le harcelant pour qu’il continue le rituel avec elle.

« Et ça consiste à quoi le rituel ? Parce que là je visualise des bougies de couleur mauve, qui brûlent au milieu du salon et un sacrifice humain.. Alors.. » Il fait le con, pour détendre l’atmosphère mais finit par hausser les épaules, une façon de répondre oui, ou pourquoi pas. Qu’est-ce qu’il risque, en dehors d’une intoxication alimentaire, de s’étouffer avec une miette ou de s’ébouillanter avec le lait de la casserole ? « J’peux vous demander un truc ? » Il est de nouveau assit sur la chaise, le coude sur la table et le poing dans la joue, le regard vissé sur elle.

C’est fou le poids de la culpabilité? et surtout ce qu’elle se déverse sur moi comme une marée qui monte. C’est dingue. J’suis à genoux. J’ai l’impression de ne penser qu’à elle. J’ai l’impression qu’il n’y a qu’elle dans ma vie, et ça me tue. Parce que j’aimerai pouvoir vivre sans elle. et parce que pourtant elle prend tout de même la majeure partie de ma vi.e. et de mon temps. Parce que même si j’pourrais très bien faire comme mes frères er soeurs et ne plus du tout la voir. C’était pas possible. Parce qu’il fallait bien quand même que quelqu’un s’occupe d’elle. Et si elle n’a aucune reconnaissance pour moi. C’était quand même une tache qui m’incombait. J’étais l’ainée. Il fallait bien que je prenne soin d’elle. Après tout j’avais bien pris soin de ma famille depuis toujours. Et pourquoi ne pas continuer la « tradition » avec elle. Et puis la savoir mal à cracher ses poumons ou sa bile à cause de trop de bouteilles de scotch vidées, c’était au dessus de mes forces. Elle serait toujours ma mère. Et ça je n’y pouvais rien du tout.

Aujourd’hui j’étais dans un de mes bons jours. Un des jours ou j’étais heureuse d’avoir Smaug pour mère. Parce que oui, il y avait quand même des bon côtés. Parce que oui, il y avait de très bons moments. Elle a pas toujours été facile, mais elle a quand même toujours essayé de faire bien avec tout ce qu’elle avait. Et ça c’était louable. Non? Alors oui aujourd’hui j’voulais essayer de retrouver un peu ma mère comme elle était avant. Et ça passait par un truc assez idiot. Ce petit rituel qu’on avait pour le gouter. Une viennoiserie après l’école. Avec un bon chocolat chaud. Et puis surtout, le tête à tête dans la cuisine. Juste nous deux. En face l’une de l’autre à se raconter la journée.

Mais bien évidemment, quand j’envisage de faire un effort, ce n’est pas le moment. Et ma mère est avec le médecin. Et Eddie est là. Eddie … ce repris de justice à qui je ne sais pas franchement si je dois faire confiance. Mais … il s’occupait plutôt bien de Smaug. Et j’avais toujours remarqué qu’elle était de bonne humeur quand elle l’avait vu. Alors peut être que oui, c’était une bonne idée qu’il soit là. Qu’il était utile. Et puis de toutes manières … il me débarrassait d’un poids. Je ne pouvais pas m’occuper d’elle tout le temps. Je n’en avais pas la force non plus. Parce que si dans les moments moyens ou bon ça va. Dans les moments de crise où les insultes pleuvent. C’est beaucoup trop éprouvant.

« Très bien. » Mais qui est-il pour me juger. Oui je prend quand même soin de ma mère. Sait-il ce que c’est d’avoir une mère alcoolique et bipolaire? J’en sais rien, je ne le connais pas du tout. Mais quoi qu’il en soit … ça ne le regarde pas. Je me sens pourtant mal à l’aise avec lui. C’est bizarre mais je ne sais pas trop comment me comporter en sa présence. Pourtant j’essaye de rester civilisée. Et puis bon il n’y peut rien si je suis frustrée de ne pas pouvoir avoir ce petit rituel. « Non merci, j’ai déjà de quoi me nourrir chez moi. » je souris doucement. « Oh oui je me doute. C’est pas du tout ce que je voulais dire » pour le coup je me sentais plutôt mal. Parce que je ne voulais pas du tout le juger pour le coup. « Je voulais dire, dans le sens, enfin … » et voilà que je m’embrouillais, et que je m’emmêlais les pinceaux. « pour pas qu’ils ne soient gaspillés. » je baissais les yeux doucement, très gênée.

Et puis pourquoi ne pas continuer à rester ici. De toutes manières il ne voulait pas prendre les viennoiseries pour chez lui. Alors autant le faire. Je faisais donc comme d’habitude. Et préparais sur la table les deux mugs pour le chocolat chaud. Je mettais le lait à chauffer sur la gazinière et me retournais vers lui. « Et ça consiste à quoi le rituel ? Parce que là je visualise des bougies de couleur mauve, qui brûlent au milieu du salon et un sacrifice humain.. Alors.. » je me mis à sourire doucement. « Oh non, rien de tout ça. » je souriais un peu plus largement. « C’est juste une habitude qu’on avait pour le gouter. Une viennoiserie avec une bonne tasse de chocolat chaud. » je me mis à rougir un peu. « C’est assez stupide. » je hausse les épaules puis sort le chocolat en poudre de l’armoire. « J’peux vous demander un truc ? » surprise, je me retourne vers lui pour répondre. « Euh. Oui bien sûr! … »

Les problèmes des autres et leurs malheurs, ne sont en rien ses affaires. Ça le regarde pas et jusqu’à maintenant, fonctionner en égoïste et en se foutant des oeillères pour pas faire face aux emmerdes des autres, ça lui a plutôt bien réussi; si on met de côté le passage en prison pour avoir pris pour sa soeur. Pour avoir voulu, l’espace d’une seconde, jouer les héros ou, à défaut d’un type en slip, jouer les grands frères protecteurs et responsable. Et pour ce que ça lui a valu. C’est pour ça qu’Eddie, aussi loin que ça lui revienne, a toujours mis un point d’honneur à ne pas se mêler des ennuis des autres, parce que ça le regarde pas et qu’il a toujours eu du mal à s’occuper de ses propres emmerdes, pour pas s’en rajouter une caisse avec ceux des autres. Il leur rend une fière chandelle, à tout ces gens qu’il a abandonné quand ils en avaient besoin, tournant le dos pour pas tremper dans les soucis d’un autre; parce qu’on dit qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné. Ce qu’on ne dit pas c’est qu’il vaut mieux être « sans Eddie » qu’avec, en réalité. C’est peut être pour ça qu’il s’entend bien avec la vieille Cavendish, parce qu’il vient lui frotter le cul et lui coiffer les cheveux mais qu’après ça, il reprend sa vie, sans se soucier vraiment de ce qu’il se passe dans sa vie, de ce qu’il s’est passé ou même de ce qu’il se passera. Si elle meurt demain, Eddie ça changera pas grand chose à sa vie au final; il aura juste ses week-end à occuper d’une autre manière. C’est terrible à dire, mais il va pas s’en cacher, il est un je-m’en-foutiste qui a perfectionné son art d’esquiver les contacts prolongés avec les autres et les relations trop intrusives, aussi bien pour sa propre intimité que celle des autres.

Il se mêle de la vie de personne, mais il se permet de juger et c’est peut être en ça qu’Eddie passe pour le plus gros connard du siècle, parce qu’il peut pas s’en empêcher et que quand on le lui fait remarquer, monsieur peut pas s’empêcher de rétorquer que c’est humain. Et que comme il est un être humain, il fait comme tout le monde, une question de génétique, même si au final il y connaît rien, lui, mais il aime bien se faire mousser. Ou se faire descendre. Cette jeune femme à son avenir, du moins le reste de son avenir carcéral, entre les mains et elle ne semble même pas s’en rendre compte. Il la traite comme une inconnue, quand elle est chez elle, lui parle avec le minimum de respect demandé, quoiqu’il le fait avec tout le monde et au lieu de le renvoyer chez lui en faisant remarquer à ses gardiens qu’il est le pire petit con de la planète, elle se contente de lui rétorquer, parfois sur le même ton, parfois avec tristesse, parfois avec absence. C’est peut être pour ça qu’il aime bien lui répondre un peu sèchement, pour la faire réagir, parce qu’à chaque fois qu’elle vient ici, Eddie craint qu’elle ne se perde dans les vestiges de souvenirs fumants d’une vie de famille bien révolue.

« J’avais compris. Pas de gaspillage et tout le bordel, z’êtes dans le délire écolo vous aussi ? » Il sait pas pourquoi, mais il sourit. Il devine sa gêne soudaine et ça l’amuse un peu, ou ça le touche, on sait pas trop, c’est toujours difficile de cerner les émotions chez Eddie. Alors il comprend pas bien l’importance de ce rituel, qu’il trouve profondément idiot, mais il décide de jouer le jeu, histoire de leur donner un peu de répit dans cette petite guerre idiote de celui qui aura la réplique la plus mesquine. Il essaiera de la ramener à la réalité, de lui faire comprendre que sa mère redeviendra jamais celle qu’elle était, demain. Peut être qu’aujourd’hui il lui foutra la paix, un peu. « Je suis pas un grand fan du chocolat chaud, mais je dis pas non, allez. Dites pas que je suis pas sympa après.. » Il hausse les épaules, un air faussement désinvolte, parce qu’il sait qu’il devrait pas; jouer le jeu une fois, c’est mettre les pieds dans quelque chose qu’il repousse depuis des années. Se mêler de la vie des autres. Et là, il fait exactement le contraire et rien que ça, il sent déjà que ça l’agace, pourtant il sourit. Un peu. « Pourquoi vous vous accrochez autant au souvenir de votre mère ? J’me la joue pas psy, hein, non parce que je suis loin d’avoir les qualifications pour ça mais.. j’sais pas si vous vous rendez compte que c’est plus dur pour elle et, surtout, pour vous.. De vous raccrocher à un souvenir comme ça.. Comme votre mère avec Hen.. Il agite un peu la main dans l’air, mouline et s’arrête deux secondes. Je veux dire votre père.. » Et il tousse un peu en se relevant pour s’approcher doucement. « Je peux aider ? » Eddie qui fait l’autruche, noie le poisson. Un truc, encore, dans lequel il est pas très bon.

Qu’est ce que je foutais là. Pourquoi diable est ce que je m’obstinais à venir la voir tous le jours en sachant pertinemment que ça ne changerait rien. Un jour sur trois elle ne me reconnaissais pas, et le troisième elle me traitait de tout les noms d’oiseau qui lui passaient pat la tête. C’était pas une vie. Mais … je l’avais choisi. Elle était ma responsabilité, c’était ainsi que je l’avais décidé, c’était à moi de m’occuper d’elle. Qui le ferait si ça n’était pas moi. Certainement pas mes frères et soeur hein. Ceux là sont plus absorbés par leur vie et leurs petits problèmes à eux que ceux de celle qui leur a donné la vie. Mais dans un sens … je ne pouvais pas leur en vouloir. Peut être même qu’ils avaient raison dans l’fond. Au moins ils étaient débarassés d’une culpabilité qui pesait beaucoup trop sur moi tous les jours. Is étaient libres. Ils étaient capable de faire ce qu’ils voulaient. et c’était même pas de ma faute. Je ne pouvais pas me plaindre. C’était moi qui avais choisi de prendre soin de Smaug voyez … Mais … c’était pourtant pas la chose la plus facile du monde.

Elle était ma mère. C’était toujours ce que je me disais. C’était ce qui m’avait poussée aujourd’hui a venir des idées dans la tête pour la voir. Espérant que ça soit un quatrième jour. Un ou tout se passerait bien. Ou elle se souviendrait de son ainée et du bon temps passé dans l’enfance. Bien avant que John Cavendish décide de s’en aller … Mon père cet éternel absent.

Et lui il était là par contre. Dans toute sa grande désinvolture. Sa présence m’était parfois douloureuse. Surtout quand Smaug elle aussi était là. Parce qu’elle aimait malicieusement être gentille avec lui. Pour me faire me tromper quand je me disais au plus profond de moi « elle est comme ça avec tout le monde, pas qu’avec moi » parce que, je ne sais quel pouvoir Eddie avait sur ma mère. Dans un sens … je crois que j’en étais jalouse. Follement jalouse. Les entendre rire comme de petits fous. La voir les yeux plus pétillants que jamais. Et force étant de constater que ça n’était pas moi qui suscitait cette joie. Qu’a ma vue, son regard s’assombrissait tout de suite. Alors oui quelque part, j’étais désagréable avec lui. Pas vraiment ouvertement, mais d’une froideur absolue. « J’avais compris. Pas de gaspillage et tout le bordel, z’êtes dans le délire écolo vous aussi ? » je soupirais doucement et haussais les épaules. Non j’étais pas écolo. Pas que je m’en foutais de la planète pour autant. Mais … j’avais autre chose à penser dirons nous. « Non … » répondis-je doucement.

Je commençais la préparation. Autant essayer de faire semblant après tout. Pourquoi pas … « Je suis pas un grand fan du chocolat chaud, mais je dis pas non, allez. Dites pas que je suis pas sympa après.. » cette réplique me fit rire. Oui peut être que j’était trop dure avec lui. Peut être à cause de sa « complicité » avec ma mère. Peut être à cause aussi de la raison pour laquelle il était la. Le TIG. J’savais pas ce qu’il avait fait mais … oui j’avais probablement des préjugés. « Promis » dis-je doucement d’un air amusé. « Pourquoi vous vous accrochez autant au souvenir de votre mère ? J’me la joue pas psy, hein, non parce que je suis loin d’avoir les qualifications pour ça mais.. j’sais pas si vous vous rendez compte que c’est plus dur pour elle et, surtout, pour vous.. De vous raccrocher à un souvenir comme ça.. Comme votre mère avec Hen.. - Je veux dire votre père.. » Je le regardais choquée. Oui ‘était le mot. Choquée. La première chose qui me traversa l’esprit fut « mais de quoi il se mêle ». mais immédiatement il coupa toute pensée de ma part en me rejoignant et proposant son aide. « Je peux aider ? » décontenancée je le laissais près de la casserole de lait et allais m’asseoir. « Parce que je tiens à elle. Et qu’elle a plus que moi. » je soupirais doucement et déballais les viennoiseries pour les disposer sur la table. « La vie de ma mère s’est arrêtée quand John Cavendish s’est barré du domicile familial la laissant avec quatre gosses. » je soupirais « Fallait bien que quelqu’un soit l’adulte de la situation. » non je n’avais pas réalisé qu’il ne connaissait même pas le nom de mon père et que … c’était tout à fait normal à priori, ma mère ne parlait jamais de lui. Du moins en ma présence. « C’est rare qu’elle parle de lui. Elle a trop souffert. »

Il est pas trop con, Eddie, il a bien compris ce qu’il se passait. Ça lui aura demandé un peu de temps, c’est vrai, mais à force d’observer le comportement de la grande blonde, de prêter un minimum d’attention à son attitude et ses regards, sans parler de ses intonations la plupart du temps, il a compris. C’est de la jalousie, ou plutôt quelque chose qui s’en rapproche sans réellement en être et, rien que pour ça, il lui en veut pas plus que ça de l’obliger à se sentir inférieur quand elle est pas dans ses bons jours, elle aussi, lorsqu’elle pousse la porte de la maison. Si un jour il devait rentrer chez ses parents et qu’il trouvait un mec, inconnu et avec une aussi sale gueule que la sienne, en train de faire rire sa mère, à sa place et sans lui avoir demandé la permission au préalable, surement qu’Eddie l’aurait mauvaise lui aussi. L’ennui c’est qu’il y peut rien, si le courant passe bien avec la vieille Cavendish. C’est pas de sa faute si ça paraît plus simple pour l’échevelée, qu’il soupçonnerait presque d’être centenaire des fois, de l’apprécier lui plutôt que sa propre fille. C’est pas comme s’il lui avait jeté un sort ou une autre connerie dans ce genre-là. Il a beau se comporter comme un gros con, y a encore des gens qui persistent à l’apprécier; allez comprendre. Malgré tout, s’il arrive à concevoir que la poupée blonde puisse lui en tenir rigueur, ça l’empêche pas de pas trop apprécier la position dans laquelle elle le place à chaque fois; celle de l’intrus, de l’anomalie qui vient bousiller un ordre bien précis, un rouage bien huilé qui, en réalité, ne faisait que grincer jusqu’à ce qu’il décide de s’en mêler. Et encore, Eddie fait tout pour pas avoir l’air de trop donner d’importance à la famille Cavendish, mais quand on doit s’occuper de la vieille trois jours par semaine et qu’on se voit obligé de parfois côtoyer les membres de sa famille, fatalement.. Il a beau faire tous les efforts du monde, il finit peut être par s’attacher un petit peu plus qu’il ne veut bien l’admettre… A la mère, pas à la fille.. Enfin.

Les mots s’échappent sans qu’il ait réellement le temps de s’y pencher, pour analyser le contenu de son vomi verbal. Y a encore une connerie qui va se glisser dans son monologue, il le sait, mais Eddie a pas assez de réflexes pour s’empêcher lui-même de la ramener, alors il esquive en changeant de sujet, comme il fait toujours. Des fois ça marche, des fois non, mais cette fois, le ciel semble de son côté, si tant est que le ciel y soit mêlé, parce qu’il a beau lever le nez, tout ce qu’il voit c’est le plafond. Sa réflexion lui a coupé la chique, à Debbie, faut pas sortir d’Harvard pour comprendre qu’il a échappé de peu à une baffe monumentale, mais pour ce que ça l’intéresse. Sa main sur la cuillère, il regarde le lait qui chauffe sans trop savoir ce qu’il doit en faire; il est manuel, mais qu’on lui demande pas de préparer la bouffe.. Il serait capable de rater le repas imaginaire de Peter Pan, dans Hook.

« Non mais.. vous savez.. Z’êtes pas obligé de me répondre quand je vous pose une question.. Pouvez aussi m’envoyer chier, ça marche.. Puis j’ai l’habitude, je me vexerais pas. » Il est tellement désinvolte dans sa manière d’énoncer les faits, ou les règles du jeu allez savoir, le tout en remuant la cuillère en l’air qu’il manque de se l’envoyer dans le visage. Il s’arrête un peu de faire le con et la regarde, sans ciller. « Ouais mais.. personne vous a demandé de l’être. Ces conneries de ‘parce que vous êtes l’aîné, vous faut gérer la famille’, à un moment donné faut arrêter hein.. On est plus au moyen-âge, on est supposé vivre dans une société évoluée. » Il parle peut être plus pour lui, conscient que si une situation lui était arrivée, similaire à celle de Debbie, il aurait pas hésité à faire appelle aux structures spécialisées pour s’occuper et de sa mère et de sa soeur. Plus parce qu’il a conscience de son incapacité à s’occuper d’une adolescente qu’autre chose. « C’est vrai qu’elle a pas mal subis dans sa vie.. » Eddie se rend pas compte, parler d’elle comme s’il la connaissait depuis toujours, mais c’est peut être un peu le cas, surtout quand il se rend compte qu’il sait peut être des trucs sur la vieille Cavendish que même sa fille ignore. Parce que c’est pas de John, qu’elle lui parle souvent.

Je devrais me réjouir je crois. Qu’il arrive à la faire sourire. A la faire vivre. Qu’elle trouve un peu de choses agréables dans son monde qui est devenu sans couleur et sans saveur quand papa est parti. Elle a été mal. Elle a vécu des choses difficiles. Et beaucoup diraient que ce n’est pas aux enfants de se charger des parents. Que c’était normalement l’inverse. Que les parents devaient se charger des enfants. Mais mon père est parti avec la dernière fibre maternelle qui résidait en ma mère. Smaug n’était plus une mère. C’était une dépressive, bipolaire et alcoolique. C’était un fort triste constat, mais c’était aussi la vérité. La vérité vraie. Alors la voir sourire avec lui me faisait mal. La voir l’aimer, le réclamer même quand il n’était pas là, ça me faisait vraiment mal. Parce que j’avais toujours été là. Même quand elle ne me reconnaissait pas. Quand mes frères et soeurs l’ont abandonnée. Quand mon père l’a abandonnée. Quand le devoir de m’occuper d’elle m’est tombé dessus comme la pluie arrive soudainement. C’était lourd et pesant. Mais c’était quelque chose que je devais porter au quotidien. C’était ma croix à me trimballer. Et mon secret aussi puisque personne n’était au courant . Mais sans moi … elle serait quoi?

« Non mais.. vous savez.. Z’êtes pas obligé de me répondre quand je vous pose une question.. Pouvez aussi m’envoyer chier, ça marche.. Puis j’ai l’habitude, je me vexerais pas. » je haussais les épaules. Oui je lui en voulais probablement, et j’étais même jalouse. De la jalousie mal placée il va sans dire. Mai il n’y pouvait rien. Et quelque part ça me faisait mal au cour qu’il ait l’habitude. Personne ne devrait avoir l’habitude qu’on l’envoie chier. Peut être que je ne l’envoyais pas chier à proprement parler parce que je savais ce que ça faisait. Qu’il pouvait me donner la permission de le faire avec désinvolture, mais que tout au fond, bah ça fait quand même mal. « Je suis pas ce genre de personne. C’est pas parce que vous avez l’habitude de vous faire envoyer sur les roses que ça veut dire que c’est normal. » je haussai les épaules. C’était pas une mauvaise personne tout compte fait. Peut être même qu’on se comprenait même sans vouloir l’admettre. Peut être que surtout j’avais jamais voulu savoir plus de lui parce que c’était plus simple de me le représenter comme un repris de justice. Ca m’empêchait de penser au fait qu’il avait probablement lui aussi subi des choses. Je le laisse préparer le chocolat. C’était marrant de le voir aux fourneaux. Et reposant de ne pas l’être moi même. Et puis … « Ouais mais.. personne vous a demandé de l’être. Ces conneries de ‘parce que vous êtes l’aîné, vous faut gérer la famille’, à un moment donné faut arrêter hein.. On est plus au moyen-âge, on est supposé vivre dans une société évoluée. » je soupire doucement. Peut être qu’il a raison. « Oui mais, j’ai pas forcémet les moyens de la laisser à une institution ou organisme du genre. Et puis c’est ma mère, ça restera toujours ma mère. Je l’ai pas fait parce que j’étais l’ainée de la famille. Je l’ai fait parce qu’il n’y avait personne d’autre pour le faire … » je soupirais doucement. « C’est vrai qu’elle a pas mal subis dans sa vie.. » je hochais de la tête et amenais les tasses près de la casserole. C’était prêt.

Des bruits de pas en haut, et puis dans les escaliers. Et le médecin qui descend. Suivi de ma mère. Son visage est pâle et elle a l’air vraiment affaiblie. Immédiatement je lui sort une chaise, mais elle la repousse et s’asseoit sur une autre. Je me mord la lèvre doucement et regarde le médecin. « Alors? » dis-je sans réel espoir d’amélioration. Le médecin me fit un signe de la tête pour me demander de venir au salon pour ne pas être dérangés par ma mère ou Eddie. Un endroit privé quoi. « Je reviens. Tu n’as qu’à lui donner ma tasse Eddie. » dis-je en souriant faiblement alors que ma mère elle, avait des étoiles dans les yeux en regardant l’aide à domicile. « Au moins elle était heureuse. » pensais-je en soupirant. « J’arrive docteur » ce dernier était déjà dans le salon et m’attendait.