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Assise au bord du lit elle avait les yeux rougis d’avoir trop pleuré. C’était la fin de sa vie. Elle se sentait comme dévastée. Son père avait décidé de foutre le camp à l’autre bout de la terre. Et c’était pour elle comme une trahison. La plus grosse trahison de la vie. Du moins de sa vie depuis seize ans. Elle était en train de sécher ses larmes quand elle l’a vu passer la tête dans l’entrebâillement de la porte. Elle s’est sentie coupable. « Tu es obligé de partir papa ? » elle le regardait, l’espoir était encore là dans ses yeux mais il haussait les épaules. « Tu viendras me voir hein ma chérie. » elle hochait positivement de la tête, très vigoureusement et allait s’échouer dans les bras de son père. « Tu reviendras pas ? Pourquoi ? » il s’agenouilla et la pris par le menton. « Tu prends soin d’elles hein ? Tu prends soin de tes sœurs et de ta mère pour moi. » c’était injuste de demander à une ado de seize de prendre soin de toute une famille. Mais c’était le lourd fardeau qu’il lui avait laissé sur les épaules. ❖❖❖
Elle savait qu’elle était dans l’illégalité. Du moins l’illégalité pour une jeune fille de seize ans. Elle était sortie la veille et avait trainé avec sa bande de potes dans le environs de Blossom Hills. C’était un peu une rebelle. Si elle détestait l’alcool, elle n’adorait pas moins faire la fête. Ses amis l’avaient attendue au pied de sa chambre. « Debbiiiiie, Psssst ! Debbie ! » elle avait ouvert la fenêtre et avait vu sa meilleure amie en bas lui faire de grand signes. Elle avait regardé deux secondes à l’intérieur et leur avait fait signe de baisser la voix. « Deborah qu’est ce qui se passe !? » entendit elle son père dire du salon. « C’est rien papa, je regardais une vidéo sur l’ordinateur et je pensais pas que le son était aussi fort ! » elle pouffait de rire alors qu’elle s’empressait de passer une petite robe rouge décolletée dans le dos. « C’est l’heure de dormir de toutes façons mon poussin ! » « Oui maman j’éteins la lumière » et elle le fit réellement. Avant de délicatement passer une jambe par la fenêtre et rejoindre ses amis pour une nuit de pure folie et ne rentrer qu’à l’aube. ❖❖❖
« On va avoir un frère ! » elles étaient toutes heureuses. Trois filles qu’elles étaient déjà. Emily, Joan et elle, Deborah. Jo était plus timide et puis il faut bien le dire, elle était contente d’être la petite dernière. « Mais on est déjà bien à trois, non ? » Debbie regarde Emily et elles se mettent toutes les deux à éclater de rire. « Tu sais Jo tu sera toujours la dernière sœur hein tu sais, la préférée ! » « Bien sûr, lui, c’est qu’un garçon ! » dit-elle comme si ça expliquait tout. « ON VA AVOIR UN FRERE ! » se mit à hurler Jo dans le couloir de la maternité. Elle ne réalisait que maintenant qu’on serait toujours en position de force face à lui. Et ce avec un grand enthousiasme. « Les filles ? Venez voir votre petit frère » Monsieur Cavendish fit sursauter les trois chipies qui se précipitaient sans donner de réponse dans la chambre. « Salut mamaaaaaaan » dit la demoiselle en s’asseyant sur le lit de sa mère un peu brusquement. « Hey ! Du calme Deborah, tu vas faire tomber ton frère. » la petite fille de neuf ans fit la moue mais son visage s’éclaircit de nouveau quand sa mère lui montra le trésor qu’elle avait dans les bras. « Mais il est tout moche et tout ridé ! » laissa échapper Joan avec une facilité déconcertante. Ems lui donna une petite tape à l’arrière du crâne. « Oh bah toi t’étais pire que ça quand t’es née ! » « On se calme on se calme les filles. Prenez exemple sur Devon. Il est tout sage ! » « C’est normal c’est qu’un bébé ! » murmura de mauvaise foi Joan entre ses dents à ses sœurs qui étouffèrent un rire. ❖❖❖
Elle n’avait pas le droit d’être là. Elle le savait bien mais elle voulait prendre un des rouges à lèvres de sa mère dans sa chambre. Elle se faufilait sur la pointe des pieds dans la chambre parentale, en essayant d’éviter les lames du plancher qui grincait. C’était un petit peu comme jouer à la marelle. Sa mère était au salon elle entendait la télé. Son père n’était pas encore rentré et Emily dormait tranquillement à l’étage avec Jo qui avait fait un cauchemar. Savannah l’avait mise au défi de venir le lendemain maquillée en classe et elle ne comptait pas perdre la face. Elle allongea la main pour ouvrir le dressing de sa mère quand elle entendit cette voix derrière elle. « Je te dérange peut être Deborah » la manie que sa mère avait de l’appeler par son prénom entier la dérangeait au plus haut point. Elle s’appelait Debbie mais jamais on ne l’appelait Deborah. A part si elle avait fait une bêtise. Et elle savait qu’elle avait fait une bêtise. « Tu sais c’est pas parce que tu parles pas que je ne te vois pas ! » elle déglutit difficilement et se retournait. « Mais maman, je voulais juste t’emprunter un rouge-à-lèvre pour demain ! » elle n’avait presque pas repris son souffle alors qu’elle avait prononcé cette phrase. D’un air de défi elle ouvrit la porte du dressing de sa mère et un bruit de verre brisé se fit entendre. Le visage de Dorothea changea tout de suite. La petite n’osa pas regarder par terre, mais elle sentit le contact frais de cadavre de la bouteille de pinot noir sur ses petons nus. Sa mère était devenue rouge. Elle semblait bouillir de l’intérieur, c’était limite si Debbie ne s’attendait même pas à ce que de la fumée sorte de son nez. « Ma- » la claque fendit l’air. « Ne dis rien à ton père ! » c’était tout ce qu’elle avait dit. Elle avait fouillé dans un tiroir et lui avait mis un bâton de rouge à lèvre dans les mains. « Feu Ardent ».❖❖❖
La première crise est la plus difficile. Elle l’avait retrouvée au milieu du salon, Devon devait être chez la nourrice et Jo et Ems chez des amies. Elle était assise, sans rien dire. Au milieu d’un bordel sans nom. Elle a d’abord cru qu’ils avaient été cambriolés, mais ça aurait été fort étonnant ici. A Blossom Hills ce n’était pas vraiment le genre de choses qui arrivait. C’était une communauté plutôt agréable et ou il faisait bon vivre. C’est alors que Debbie repéra que sa mère tremblait. Elle avait les mains en sang, immédiatement la fille se précipita sur sa mère pour l’aider à se relever. Elle avait fait valdinguer la vaisselle. Les papiers avaient volé à travers le salon. Des lettres manuscrites, des factures … « Calme toi maman qu’est ce qui c’est passé ? » mais elle ne répondait pas, elle tremblait, son regard était vide. Son silence était profond et perturbant. Dérangeant même. Et ce n’était pas la dernière fois.❖❖❖
La lecture était une chose agréable et qu’elle adorait volontiers faire. Souvent elle sortait de la maison, un livre à la main « J’vais lire sous le cerisier ! » lançait-elle sans vraiment attendre de réponse. De toutes manière, elle ne l’aurait pas entendue. Elle aimait ce banc sous l’arbre d’où elle pouvait observer les gens, observer la vie. Et partir dans une autre contrée. D’autres univers même selon le héros qu’elle suivait. Au fil des pages. Elle passait le plus de temps possible en dehors de la maison. Il faut dire que les crises de sa mère n’étaient pas vraiment la meilleure des motivations pour rester chez elle. Elle ne savait pas pourquoi ni ce qui se passait. Elle était peut être trop jeune … qui sait. Et elle lisait jusqu’au moment ou sa bande d’amis passait et arrivait à l’engrener à faire autre chose « Mais j’ai mon livre à finir ! » elles râlaient en se moquant d’elle et s’asseyaient à côté d’elle sur le banc. « Tu sais Jack, le beau mec du supermarché… » et elle levait la tête intéressée. Jack était un vrai playboy et la rumeur circulait qu’il n’avait d’yeux que pour Debbie. « Il va bientôt avoir fini son service … » et s’en était fini. Mais avec ou sans Jack il était assez simple de la faire s’amuser avec ses copains. ❖❖❖
« Devon arrête, descend de là ! » il avait neuf ans, et leur père était déjà parti depuis deux ans. Mais ils n’avaient pas vraiment compris tous les trois ce qui s’était passé. « Devon je vais pas te le dire deux fois ! TU DESCENDS DE LA ! » Debbie se préparait pour aller au lycée. « Joan est ce que tu as préparé les sacs de petits déjeuners pour tout le monde ? » la cadette regarda son ainée en soupirant. « Pourquoi c’est à moi de le faire ! » elle soupirait lourdement et trainait des pieds. Elle était en plus dans la période compliquée ou elle était en rébellion contre tout, foutue crise d’adolescence. C’est le moment que choisit Emily pour rentrer à la maison. « Ah je vois que tu as passé une bonne nuit ! » dit l’ainée en se plantant devant sa sœur l’air grave. « Hé maman détends-toi ! » elle soupirait et fit le tour de Debbie. Mauvaise idée. « Je ne suis pas ta mère Emily, mais c’est moi qui m’occupe de tout ici, alors tu vas me faire le plaisir de participer un peu ! » elle devait jouer au flic avec ses frères et sœurs et ça ne lui plaisait pas beaucoup. Devon continuait à sauter partout, Emy racontait sa soirée avec Jo, et personne n’avait préparé le repas de midi. ❖❖❖
Ils étaient allés à la ville à côté, ils ne voulaient pas attirer l’attention des habitants de Blossom Hills, parce qu’ils ne voulaient pas que la rumeur ne s’épande comme une trainée de poudre. « Bipolaire » c’était le mot qu’elle avait retenu. De tout le baratin que le médecin avait débité, c’était le seul mot qui avait eu de l’impact sur la belle blonde. La main de sa mère serrée dans la sienne, elle tremblait. « On appelle un petit peu tout bipolarité de nos jours, mais, votre mère entre dans les critères » elle posait les yeux sur le visage de sa mère qui n’avait pas bougé. Elle semblait ne pas percuter. « Je tiens déjà à vous rassurer, vous n’êtes plus seule votre père et vous » elle hochait de la tête pour signifier qu’il n’y avait plus qu’elles deux. « Qu’est ce qu’il faut faire ? » et sur son bloc-notes elle avait pris soin de tout noter. Elle prenait tout sur elle, elle s’appropriait le problème. C’était à elle de gérer. D’être « l’homme » de la situation ! C’était ce qu’elle avait promis à son père. Elle avait du coup lu. Elle avait fait plein de recherches, et avait vu des spécialistes. Elle ne voulait pas que ça se sache alors ils avaient décidé, les quatre enfants Cavendish, de dire que leur mère devait rester à la maison. Dépression grave suite au départ de leur père. C’était probablement mieux. Et assez crédible pour les autres habitants qui du coup n’ont jamais cherché à en savoir plus. ❖❖❖
En elle était née l’envie de devenir médecin. C’était antithétique, elle aurait aimé vouloir sauver sa mère, et pourtant elle ne la supportait pas. Elle aurait voulu la guérir, parce qu’elle pensait que c’était pour ça que son père était parti, à présent avec le recul. Et elle en voulait à sa mère. Elle l’avait privée de son père. Mais elle ne lui en avait jamais voulu à lui, pourtant il l’avait abandonnée. Il les avait abandonnés tous les cinq. « Mais tu seras jamais médecin ma pauvre fille ! » les mots faisaient mal et la heurtaient de plein fouet. « T’es déjà pas foutue de t’occuper de toi ! » gênée elle rougit et replaçait une mèche de cheveux derrière son oreille. « Mais j’aimerai pouvoir t’aider ! » c’était les mots de trop. « J’ai pas besoin d’aide Deborah ! J’ai pas besoin de toi. Tout le monde m’abandonne, abandonne moi toi aussi, je suis très bien toute seule va ! » les mots la peinait. Mais surtout parce qu’elle savait qu’au fond sa mère avait raison. Elle ne pourrait jamais être médecin. Elle n’aurait jamais le temps. « Tu sais très bien qu’Ems, Jo et Dev’ sont ocupés » « C’est pas pour autant qu’ils passent me voir, ils sont comme ton père ! Des couards ! » elle soupirait. Non elle ne serait jamais médecin. Smaug – le surnom affectueux qu’elle donnait à sa mère – ne la laisserait jamais assez de temps pour l’être. ❖❖❖
La boutique était assez grande. Elle avait vu un jour que la boutique était à reprendre. Et elle l’avait pris, c’était un univers doux, et elle avait besoin de douceur pour décompresser. Les fleurs étaient calmes elles. Et apaisantes. Leurs couleurs pouvaient la réconforter facilement, c’était tellement agréable. A défaut d’être médecin un jour, Debbie était devenue fleuriste. « J’ai reçu de jolies roses hier. » disait-elle à cette habituée qui voulait égayer sa table du salon car elle avait des amies à diner le soir même. « Je vous les montre ? » disait-elle avant de composer un bouquet pour la jeune femme qui sembla ravie. A défaut de soigner les gens elle leur donnait le sourire. « Merci beaucoup Mademoiselle Cavendish ! » disait-elle « A la prochaine fois. » dit-elle avant de fermer le tiroir caisse. ❖❖❖
« Allez rien qu’un petit verre Debbie ! » mais elle était catégorique. L’alcool elle ne supportait pas ça. Elle n’en avait jamais eu besoin pour s’amuser et ça ne commencerait pas aujourd’hui. Pas ce soir. Elle avait passé une journée difficile avec sa mère et elle avait eu besoin de décompresser. Elle s’étonnait parfois elle même de voir la facilité déconcertante qu’elle avait à redevenir une personne souriante dès qu’elle quittait la Caverne du Dragon – à savoir la maison de sa mère – pour retrouver le monde réel. Elle souriait à pleines dents mais faisait toujours non de la tête. « Non, non, merci, je suis bien avec mon jus d’abricot, t’en fais pas ! » d’ailleurs, elle se levait et se dirigeait vers la piste de danse pour aller se déhancher. ❖❖❖
Il est entré dans sa vie comme dans sa boutique, au hasard. Il venait voir une tante pas vue depuis des années et elle l’avait conseillé volontiers. Elle avait été séduite par son sourire et ses mains. C’était con. Elle avait déjà été amoureuse avant, mais ça n’avait jamais duré très longtemps. La faute à qui ? A elle peut être. Ou alors la faute à pas de chance. Elle n’avait pas besoin de quelque chose ou de quelqu’un. Elle avait quatre chats. Et puis il y avait lui maintenant. Logan. Elle aimait bien son prénom. Il devait rester que pour les vacances, mais elle l’avait fait rester pour de bon. Elle savait pas comment. Ou même pourquoi elle avait réussi ça. Elle ne voulait piéger personne. Elle l’aimait. Bien sûr, mais elle avait peur. « Tu veux m’épouser ? » elle s’était retrouvée sans voix face à lui. L’épouser ? Il était sérieux là !? C’était … réel ? Elle le regardait quelques secondes. « Heu ! Oui, bien sûr, oui ! » murmura la belle blonde. Au fond peut être que c’était ça l’amour. Elle était bien avec lui. Y’avait pas à dire. Mais il y avait plein de choses dans sa vie qu’il ne savait pas. Qu’elle ne voulait pas qu’il sache. Elle n’a jamais parlé de sa mère par exemple. Et probable qu’elle ne le ferait jamais. Même s’il lui demandait un jour. Pourquoi tout bouleverser pour quelque chose de futile. Quelque chose de futile qui lui prenait quand même au moins la moitié de son temps … si ce n’est plus … Mais oui, elle faisait sa vie. Dans cette ville qui l’oppressait parfois et que pourtant elle n’avait jamais réussi à quitter. A passer tous les jours voir son dragon de mère. Câliner ses quatre chats. Et puis elle a ses amis, et elle va se marier. Et puis … ❖❖❖
Un autre jour comme les autres, elle s’était disputée avec sa sœur au sujet de leur mère. Comme toujours. Elle s’était sentie coupable de leur en vouloir. Et puis aussi jalouse de voir la facilité qu’ils avaient à avoir mi Smaug de côté dans leur vie. Et jalouse que ça soit à elle de s’occuper du dragon. Et en même temps elle était heureuse pour eux. Quelque part, c’était aussi signe qu’elle avait réussi à s’occuper d’eux correctement. Mais restait le problème de sa mère. Seule c’était difficile, et avec personne au courant à Blossom Hills c’était pas évident. « Vous pensez que je pourrais avoir de l’aide ? » elle avait demandé à au spécialiste. « Je pourrai voir avec le responsable des TIG si vous voulez. Je comprends que vous vouliez que ça reste discret. » elle hochait la tête. « Même mon fiancé n’est pas au courant » dit elle. Il passa un coup de fil et finit par lui assurer qu’il avait une solution. Sa mère ne serait pas seule tout le temps. Il y avait quelqu’un qui allait venir. Bon c’était un « délinquant » il lui proposa de voir son dossier, mais elle refusa. « Je ne préfère pas » il devrait séduire la mère, et pas elle. Elle le savait bien. C’était un débraillé, il était de Blossom Hills mais elle ne se souvenait pas l’avoir vu pourtant de toute sa vie. Peut être l’avait elle jamais croisé tout simplement. Elle le garderait à l’œil. Surtout après avoir découvert les murs pleins de purée un soir …