venez mademoiselle, je vous emmène dans les étoiles ♒ birdy

« Je m’appelle Birdy. Birdy Turner. J’ai dix ans et j’ai une sœur jumelle Braeden. » Je m’en souviens comme si c’était hier. Ces mots, je les avais prononcés pour me présenter à la classe. Nouvelle ville – coin paumé plutôt -, nouvelle école, nouveaux amis. Avant de venir vivre à Blossom Hills, je vivais à Londres avec ma jumelle, notre père et notre grand-mère. On était une belle petite famille. Une famille unie, soudée. Ma grand-mère a toujours été là pour Braeden et moi. Tout comme papa. Braeden et moi n’avons jamais manqué de rien. Enfin … D’une mère peut-être à un moment. Il fut une période durant laquelle j’ai beaucoup souffert de l’absence de ma mère. Beaucoup plus que Braeden. Ma sœur qui me disait alors que nous n’avions pas besoin d’une mère, que nous avions notre père. C’était suffisant. Et je la croyais. Braeden, je la croyais toujours, elle avait une telle éloquence, une telle façon de dire les choses que je ne pouvais que la croire, lui faire confiance. Queen B et baby B, voilà comment les gens nous appelaient. Queen B, ça correspondait totalement à ma sœur. Plus vielle que moi et plus forte aussi, je ne faisais que la suivre. C’était elle qui menait la danse. Je ne la quittais jamais, je la suivais comme mon ombre. Nous n’étions pas des jumelles pour rien. Jumelles et pourtant différentes en certains points. « Tu es dans tes pensées B ? » Mes yeux filent vers l’origine de cette voix. Ma sœur se tient dans l’encadrement de la porte, bras croisés, l’air amusé. J’hoche la tête. « On ne peut rien te cacher. » Braeden s’approche et finit par se laisse tomber sur mon lit. A mes côtés. « Tu pensais à quoi ? » Son regard croise le mien et je ne détourne pas les yeux. Je ne peux lui mentir de toute façon. Elle détecte à chaque fois quand je mens ou que je ne vais pas bien. Elle me connait si bien … « A nous, notre enfance, à beaucoup de choses en fait. » L’expression de ma sœur reste indéchiffrable l’espace de quelques secondes puis un sourire apparait de nouveau sur ses lèvres. Et j’en profite pour la prendre dans mes bras. Juste comme ça, juste parce que j’en ai envie. Et que ça fait du bien.


Jusqu’à aujourd’hui, la raison de notre présence à Blossom Fields m’avait toujours intriguée. En cinq ans, je n’avais pas compris ce qui avait pu pousser mon père à venir vivre ici. Braeden était dans le même état d’esprit que moi à ce sujet. Jusqu’à aujourd’hui. Ce matin, la journée a pourtant bien commencé. Je me suis réveillée tranquillement, de bonne humeur comme toujours. Et puis, je ne sais trop comment, je tombe sur une photo accrochée au mur. Une femme, plutôt belle, est dessus. Je l’arrache directement du mur sans penser une seule seconde que je puisse l’abîmer.  Mes pensées se bousculent. J’imagine plein de scénarios possibles sur cette photo et aucun d’entre eux ne me plait. Ma sœur a beau me dire que ce n’est rien, c’est déjà trop tard. Je me dirige donc dans la véranda. Cette même véranda dans laquelle se trouve notre père, en train de travailler, comme souvent. Je lui plante la photo devant les yeux et je lui demande des explications. Je suis directe. D’habitude, c’est Braeden qui agit de la sorte, mais pas aujourd’hui. « Les filles, je… » Et il n’ajoute rien. C’est mauvais signe, très mauvais signe. J’ai sans doute eu raison de me faire de m’imaginer des choses. La vérité, c’est tout ce que je veux. Et à voir la tête de papa, la vérité se cache dans cette photo. Il finit par parler et ses mots me font l’effet d’une bombe. Il a aimé la femme de la photo. Elle est partie un jour. Les pièces du puzzle s’associent dans ma tête. Ma sœur essaye de m’empêcher de continuer, mais c’est trop tard, je ne recule plus. « Non b ! on a le droit de savoir. on a quinze ans papa, on est assez grandes maintenant alors arrête de tourner autour du pot et crache le morceau !» Je n’en peux plus. Je suis énervée. La vérité est si proche que papa n’a pas le droit de se défiler. Il en a déjà trop dit de toute façon. « elle s'appelle jade. c'est ici que je l'ai rencontré. nous avons partagé plusieurs années ensemble et, suite à notre histoire, elle a donné naissance aux deux choses les plus importantes dans ma vie : vous.» Ca fait mal. Très mal. Cette femme sur la photo est ma mère. Celle que je n’ai pas connue. Celle qui est partie du jour au lendemain. Moi qui ai toujours eu du mal de vivre sans une mère, voilà que j’en apprends plus sur elle en une cinq minutes qu’en quinze ans de vie jusqu’à présent. Je n’arrive pas à croire. Je tremble, les larmes coulent le long de mes joues sans que je n’arrive à les retenir. Je n’en ai pas envie de toute manière. Sans le moindre mot, je quitte la pièce. Je fuis. Je fuis mon père, je fuis cette terrible vérité. Je me fous pas mal que la porte de la véranda claque derrière moi, je me fous pas mal de courir dans la maison. Je ne sais où aller, à quoi bon partir d’ici ? Je me retrouve donc dans ma chambre et je jette sur mon lit. Le visage enfui dans l’oreille, je pleure. Je pleure de rage, de tristesse. Un sacré mélange. Dire que la journée avait bien commencé…


Le temps passe. C’est comme ça. On ne peut l’éviter. Certaines choses finissent par s’oublier avec le temps. D’autres non. Je n’ai pas oublié ce qu’il s’est passé alors que je n’avais que quinze ans. Ca fait peut-être cinq ans depuis la fameuse révélation, mais je n’ai rien oublié. Mon père, j’ai évité de lui parler pendant une longue période. Je n’arrivai plus à le regarder dans les yeux, à lui adresser le moindre mot. Braeden a fini par péter un câble à force de jouer le rôle du messager. Moi, depuis que je sais la vérité, je n’ai qu’une idée en tête : retrouver ma chère génitrice, notre chère mère. Je veux la voir, lui parler. Enfin, lui parler… Juste lui dire ce que je pense d’elle. Il le faut, j’en ai besoin. J’ai ce besoin de retrouver cette femme, c’est important pour moi. Tellement important que je passe énormément de temps à la chercher. A mes dix-sept ans, j’ai même écourté un séjour à Londres pour retourner à Blossom Hills dans le seul but de la retrouver.  J’étais déterminée, que ma sœur me suive ou pas. Au final, Braeden m’a accompagnée. Et on est restée à Blossom trois ans. Trois ans durant lesquels je n’ai rien trouvé. J’ai fait chou blanc. Je me suis donc retrouvée à Londres une nouvelle fois. Notre grand-mère manquait beaucoup à Brae et à moi aussi, je ne pouvais le nier. Ma relation avec elle est toujours au bon fixe. Par contre avec mon père … Il a toujours un froid, une relation tendue. Je n’arrive pas à lui pardonner entièrement. Je vois bien qu’il tient à se faire pardonner, mais j’ai bien du mal à l’accepter. Bref. Malgré ma présence à Londres, je continue mes recherches. Je suis têtue, je ne lâche pas l’affaire si facilement. Je doute d’ailleurs lâcher l’affaire un jour. Je retrouverai la trace de notre mère avant ma mort, j’en fais un point d’honneur. Et un soir, mes efforts payent. Ma bouche s’ouvre toute seule quand je me rends compte que j’ai enfin retrouvé la trace de cette femme. Je me retiens de pousser un cri et je file réveiller Braeden. Je m’en fiche bien qu’elle soit en train de dormir, ce que j’ai à lui dire est bien trop important. Je la réveille donc en la secouant sans ménagement. Quatre heures du matin. Oui, très tôt, je n’ai pas dormi de la nuit. Ce n’est pas bon pour la santé, mais une nouvelle fois, je m’en moque. Je lui annonce la nouvelle alors qu’elle est à moitié réveillée. Moi, j’ai le sourire aux lèvres, heureuse. Les longues heures passées sur l’internet, à faire des recherches sur son prénom, dans les archives de la ville, dans les moindres registres, avaient payées. Si cela n’avait pas été le cas, j’aurai été capable d’engager un détective privé. « Elle est à Blossom Hills Brae’… » Oui, c’est la vérité vraie. Les yeux de ma sœur s’ouvrent grand et je comprends pourquoi. La nouvelle est si surprenante. Un sacré coup du destin quand on sait que l’on comptait rentrer à Blossom en ce jour. Je veux que ma sœur m’accompagne pour voir cette femme dès notre retour à Blossom. J’y tiens. Cependant, Braeden est d’un autre avis. Elle ne peut pas. Dans un sens, je la comprends, mais … J’ai besoin d’elle. C’est vital pour moi. Elle replace la couette sur ta tête, signe sans doute que la discussion est close. « Jt’en prie B… », Mais c’est sans réponse.


Une désillusion des plus totales. Voilà comment je peux qualifier notre retour à Blossom. Une cruelle désillusion. Dès que mes pieds se sont posés sur le sol de la ville, je n’ai pas réussi à aller au bureau de tabac pour rencontrer notre mère. Je n’y suis pas arrivée. Braeden ne m’a été d’aucun secours étant donné qu’elle rechignait toujours à m’accompagner. Au fond de moi, j’avais peur d’aller à la rencontre de sa femme, j’avais peur de voir sa réaction, de lui dire ce que je pensais d’elle. Avec ma sœur à mes côtés, j’y serai sans doute arrivée. Et puis, un matin, quatre jours près notre retour, la nouvelle est tombée : le bureau de tabac avait fermé ses portes. Elle s’était envolée une nouvelle fois. Partie, évaporée. J’ai pleuré sur le coup. De rage, de tristesse. J’avais besoin d’évacuer  ce que j’avais sur le cœur. Les jours ont passé et rien à l’horizon. A force, j’ai recommencé mon petit manège. J’ai recommencé à chercher à avoir de ses nouvelles, savoir où elle était. A l’heure actuelle, j’en suis là. Une quête sans fin. Et Brae … Ah Brae. J’ai l’impression de m’éloigner un peu d’elle à force d’avoir cette obsession pour notre mère. Elle boit beaucoup, sort et moi, je reste à l’appartement bien sagement à continuer mes tentatives de contact. Mais je suis toujours là pour elle. Elle qui n’arrive pas à se voir comme je la vois, comme quelqu’un avec un cœur aussi gros que le mien, comme quelqu’un de bien. Moi, je e vois, tout comme ce charmant jeune homme. Un jeune homme blond, bien joli pour qui j’ai longuement eu un béguin. Je n’ai jamais rien tenté ni laissé paraître la moindre chose et j’ai eu raison. Une fois, j’ai longuement discuté avec lui – merci à ma sœur d’avoir trop bu et de s’être énervée pour un rien - et je me suis bien vite rendu compte qu’il n’en avait que pour Braeden. Pas pour moi. Je trouve qu’ils iraient bien ensemble et peu importe ce que pense à ma sœur, j’ai envie d’aider ce blond à se mettre avec Brae. Et c’est donnant donnant. Il m’aide dans mes recherches concernant ma mère et moi, je l’aide donc avec ma sœur adorée. Je me doute que, si elle l’apprend, elle ne sera pas ravie, mais tant pis.


Je cours dans les couloirs de l’université. Si je ne cours pas, je vais arriver en retard au cours et c’est une chose que je ne veux pas. Je déteste arriver en retard. Quand j’ai un rendez-vous médical, j’arrive toujours avec dix bonnes minutes d’avance contrairement à d’autres n’ayant pas de scrupule d’arriver avec du retard. Hier soir, je m’étais couchée de bonne heure afin de me lever à l’heure. Cependant, je n’avais pas prévu que mon réveil tombe en panne. Je m’étais donc réveillée trente plus tard que d’habitude. Et trente minutes, c’était énorme comme retard. Voilà donc pourquoi je me retrouve à courir dans les couloirs. Les étudiants sont déjà pratiquement tous dans les auditoires. Je tourne à une intersection et je rentre en collision avec quelqu’un. Je me retrouve à terre sur mes fesses. Aïe. Je relève bien vite la tête et constate que le jeune homme est toujours debout, sur ses pieds. Il me regarde avec un air indéchiffrable. Je m’attends à ce qu’il me tende la main pour m’aider à me relever mais non. Les secondes défilent et je me relève seule, sans son aide. Pas grave on va dire. « Désolée, je ne regardais pas où j’allais. » Je m’excuse par politesse tout comme j’affiche un petit sourire. Sourire qu’il ne me rend pas car il affiche toujours son air dénué d’expression. Ok. « Bon, ben, au revoir. » Et je pars sans demander mon reste. Je suis à peine installée sur l’une des chaises de l’auditoire que le professeur entre. Tout juste. Le cours commence, les minutes passent et on arrive bientôt à une heure de blablatage. La porte s’ouvre soudainement et je vois apparaître mon fameux inconnu de tout à l’heure. Il se dirige rapidement vers le professeur et lui tend un papier. Deux minutes plus tard, l’inconnu s’installe au premier rang laissant des places vites autant à sa gauche qu’à sa droite. Nouvel étudiant donc.

J’ai appris qu’il s’appelle Jayden. Qu’il a vingt-quatre ans, qu’il a raté une année et qu’il vient de revenir à Blossom là où ses grands-parents vivent. Avant, il vivait en ville. Et j’ai l’impression, non, plutôt la certitude, qu’il est plus à l’aise avec les hommes que les femmes. Je ne pense pas qu’il soit homo à première vue. C’est juste quand une femme lui parle, il ne répond pratiquement pas, il baisse les yeux, fuit le regard … Ce mec m’intrigue énormément. Je trouve qu’il est une énigme à lui tout seul. J’ai voulu lui parler après la fin du cours, j’ai juste eu le temps de lui dire un salut avant qu’il hoche la tête et s’éloigne à grands pas. « Tu peux aller ranger ces livres en rayon Birdy ? » Je sors de mes pensées et prends en main la pile de livres que me tend ma patronne, Madame Dawkins. Je me dirige dans les différents rayons et entreprends de remettre les livres à leur place. C’est ce que je fais le plus souvent ici, chose normale dans une bibliothèque. J’atterris dans le rayon consacré aux recueils de poésies et je découvre que Jayden est là. Absorbé par un livre. Je m’approche doucement et je découvre bien vite de quel livre il s’agit. Les poèmes de Baudelaire. « Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage prennent des albatros, vastes oiseaux des mers … » je commence dans un français approximatif. Jayden sursaute et se retourne vite fait pour lui me faire face, faisant tomber au passage le recueil de poèmes. Déposant les quelques livres qu’il me reste en mains sur l’étagère à mes côtés, je me penche pour ramasser le recueil. « Tiens. » dis-je en lui tendant le bouquin. Jayden ne bouge pas d’un pouce, son regard fuit toujours le mien. « Je m’excuse, je n’aurai pas du te faire peur de la sorte… » En même temps, ce n’était pas méchant ce que je venais de faire. « Tu reprends le bouquin ou tu me comptes me laisser attendre le bras lever comme ça jusqu’à la fermeture ? J’ai pas envie d’attraper une crampe moi… » J’aurai très bien pu le déposer sur la pile de livres présente à mes côtés, mais non. Je veux le faire réagir, je veux qu’il parle, qu’il daigne m’adresser la parole. Il finit par attraper le bouquin vite fait et le garde contre lui. « Merci. » Ah un remerciement, mieux que rien. « De rien. Tu aimes bien Baudelaire alors ? » Oui, j’essaye de faire la conversation. Bien que je me doute qu’il ne se laissera pas faire aussi facilement. Justement, il hoche la tête, les yeux dans le vague. Bon, je ne baisse pas les bras. « Tu sais, je ne mords pas. Tu peux me parler … Me regarder aussi. J’ai pas de sabre laser ou je ne sais quoi à la place des yeux. » J’essaye de le convaincre comme je peux. Quelque chose me dit qu’il doit être très sympa et je ne comprends pas pourquoi il agit de la sorte. Il peut être timide oui mais à un point pareil ça m’étonnerait … Non ? « Je… Je me doute. Désolé quand même. » Et sans me laisser le temps de répondre, il s’enfuit de nouveau. Je ne crie pas après lui, je ne lui cours pas non plus après. Je suis dans une bibliothèque après tout. Quand je rentre à l’appartement au soir, les lumières ne sont pas allumées, le calme règne. C’est vrai : Bae’ travaille ce soir au bar. Je dépose mon sac à terre contre le divan et m’installe dans ce dernier prenant au passage l’ordinateur. Machinalement, je vérifie mes emails. Rien d’intéressant. Rien qui concerne ma mère. Comme toujours ces derniers temps.