nos jours heureux.
LONDRES, SIX MOIS. une lettre posée sur le bar de la cuisine, c'est tout ce qu'elle a laissé de son passage dans la capitale londonienne. sur le papier, des traces de larmes, une écriture tremblante, des mots lourds de sens. elle ne reviendra pas. l'homme tourne la tête vers la chambre de ces deux petits êtres qui dorment, loin de toute cette tristesse, loin de cette situation sans queue ni tête. les petites filles ne se réveilleront pas avant une petite heure encore. l'homme a pris une claque, il ne s'attendait pas à ça. il prend sa tête entre ses mains, se demandant comment il va pouvoir s'en sortir. il se dirige vers la chambre de ses filles et s'appuie contre le montant de la porte, regardant ses deux petits anges qui dorment à point fermé. des jumelles. braeden et birdy. le fruit de son amour pour cette femme qui l'avait suivi jusqu'en angleterre et dont il ne restait plus rien aujourd'hui. elles ont à peine six mois. elles ne méritent pas ça. l'homme referme lentement la porte de la chambre et attrape le téléphone. il appelle sa mère, au bord des larmes. elle sera là dans deux heures. elle l'aidera comme elle a toujours aidé ses enfants. elle a le temps et encore le courage de s'occuper de deux enfants de plus. elle aime son fils plus que tout au monde alors elle ne le laissera pas tomber. et puis, il en va de la vie de deux petits bouts de filles alors il est hors de question de les priver d'amour. elle était à l'heure. les filles s'étaient réveillées, l'homme les tenait dans ses bras. ses yeux étaient remplis d'amour lorsqu'il les regardait mais il était clairement dépassé par les évènements. sa mère l'a réconforté et est tombée amoureuse des deux petites têtes blondes. elle s'est promis de s'en occuper comme si elles étaient ses filles et elle l'a fait. l'homme a finit ses études et est devenu l'avocat qu'il aspirait à être. les filles n'ont jamais manqué de rien. famille fortunée, gâtées à souhait. grandir n'était pas si difficile que cela. on les connait, on se retourne sur leur passage. elles en jettent, il n'y a pas à dire. et puis, il faut dire que leur nom de famille, elles le portent avec fierté. turner. braeden et birdy turner n'ont jamais connu leur mère mais elles ont toujours eu l'amour maternel dont elles avaient besoin. elles avaient leur grand-mère, c'était suffisant. on les surnommait les terreur. elles étaient appelées queen b et baby b dès leur plus jeune âge. braeden, plus vieille d'un petit quart d'heure, avec un caractère de merde et pourtant une telle aisance, c'était elle la reine du duo. birdy, elle, suivait sa soeur à la trace mais était beaucoup plus douce. le jour et la nuit, le soleil et la lune. toujours ensemble, elles ne se séparaient jamais. et puis, pendant ces vacances d'été, les choses ont changé.
que les masques tombent.
BLOSSOM HILLS, QUINZE ANS. cinq ans que l'on a quitté la belle capitale anglaise pour venir s'installer à blossom hills. on a jamais vraiment compris pourquoi, jusqu'à ce jour où on a trouvé cette photo. « papa ? tu nous expliques ? » pour une fois, ce n'est pas moi qui me tient devant mon père, le regard froid, les bras croisés sur la poitrine. légèrement en retrait, c'est bridy qui mène la danse. un peu plus tôt, on était tombées sur cette photo. birdy s'est fait un film immédiatement. j'ai pourtant essayé de lui dire que ce n'était rien mais elle n'a pas voulu me croire. elle a arraché la photo du mur et est partie comme une furie vers la véranda. papa avait le nez dans un dossier important. je me suis toujours demandée s'il serait capable de vivre sans son travail ou si les vacances à blossom hills n'étaient qu'un prétexte pour avoir plus de temps pour s'occuper de ses dossiers en attente. « les filles je - » il s'est figé. je l'ai entendu déglutir avec toute la difficulté possible, birdy avait touché une corde sensible. tout de suite, la situation a piqué ma curiosité. j'ai penché ma tête sur le côté, plissé les yeux et posé les mains sur mes hanches. « c'est quand tu veux papa. » froide et cassante, il nous cachait quelque chose et cette photo en était la clé. birdy était tendue, elle serait les dents. je sentais qu'elle avait peur d'avoir raison. mon père a posé son stylo et s'est passé les mains sur le visage. il nous devait une explication et il allait nous la donner, il n'avait pas le choix, il le savait. « cette femme a représenté une grande partie de ma vie. je l'ai aimé, profondément. et puis, un jour, elle est partie, sans se retourner. c'est du passé. » je sentais toute la détresse dans la voix de mon père. je voulais arrêter de le torturer parce que oui, c'était de la torture. mais, ma jumelle, elle, n'était pas du même avis. « ne me dis pas que c'est - » « birdy ! » « non b ! on a le droit de savoir. on a quinze ans papa, on est assez grandes maintenant alors arrête de tourner autour du pot et crache le morceau ! » je n'avais jamais vu ma soeur dans un état pareil. je ne supportais pas de voir mon père dans l'embarras et pourtant, devant la détermination et la rage de ma moitié, je ne pouvais pas faire grand chose. je savais que birdy avait du mal à vivre avec l'absence d'une mère. j'ai pourtant tout essayé pour lui prouver le contraire, en vain. aujourd'hui, elle était à deux doigts d'avoir une réponse. « elle s'appelle jade. c'est ici que je l'ai rencontré. nous avons partagé plusieurs années ensemble et, suite à notre histoire, elle a donné naissance aux deux choses les plus importantes dans ma vie : vous. » ma bouche s'est ouverte en grand. j'étais sur le cul. cette femme d'une beauté sans pareille, c'est ma mère ?! d'accord, je crois que j'ai besoin de prendre l'air. cela dit, mes jambes refusent d'obéir à mes ordres et je me retrouve plantée là, incapable de bouger. birdy, elle, tremble de colère. je vois des larmes dévaler ses joues et elle quitte la pièce en un rien de temps. merde. mon père baisse la tête. je n'arrive plus à respirer. les yeux de mon géniteur se posent sur moi, je referme la bouche et laisse mes bras retomber le long de mon corps. merde. j'entends la porte de la véranda claquer. il faut que je rattrape ma soeur, elle a besoin de moi, je le sais. cela dit, je ne peux pas non plus laisser mon père en plan. « dis quelque chose brae', je t'en prie ... » la détresse se fait ressentir dans la voix de mon père. je baisse la tête. cette fois-ci, je ne peux prendre sa défense. je dois rattraper ma soeur, elle a besoin de moi. d'un signe de tête, il me montre la porte. il a compris. pour la première fois de ma vie, je me retrouve à ne pas savoir quoi dire. moi qui ai, d'ordinaire, la réponse à tout, je n'arrive pas à trouver les mots. c'est donc avec une boule au ventre que je quitte la véranda à grandes enjambées afin de retrouver ma moitié. elle a besoin de moi, je le sais, je le sens.
le temps des décisions.
LONDRES, DIX-SEPT ANS. deux ans. deux longues années se sont écoulées depuis que papa nous a annoncé la nouvelle. je ne peux pas nier l'évidence : je me suis pris une grande claque dans la gueule quand j'ai appris. j'ai alors compris beaucoup de choses. j'ai compris pourquoi il ne parlait jamais de notre mère et qu'il changeait de sujet à chaque fois. j'ai compris pourquoi il n'y avait pas de photo d'elle à la maison. j'ai compris pourquoi elle n'existait pas dans la famille et qu'on préférait nous dire qu'elle s'était éteinte. j'ai compris pourquoi papa travaillait autant. j'ai compris pourquoi ma grand-mère s'investissait à ce point dans les causes perdues. nous étions passées par là, nous aussi. nous avions été des causes perdues. birdy n'a pas adressé la parole à papa pendant un mois après ça. je devais faire le messager, ce qui m'a grandement gonflé, je dois bien l'avouer. alors j'ai fini par les envoyer bouler, tous les deux. j'ai consolé ma moitié tous les soirs après ça. elle en faisait des cauchemars. et puis, un jours, mon père nous a expliqué son histoire, notre histoire. birdy a pleuré. j'étais énervée. j'avais la rage contre cette femme qui avait promis monts et merveilles à mon père et qui nous avait finalement abandonné, tous les trois. jamais je n'aurais pensé que la femme que papa nous décrivait aurait pu être ce genre de personne. je m'étais trompée. cette femme ne méritait même pas que l'on cherche à savoir ce qu'elle était devenue. je refusais d'avoir quelque chose à faire avec elle. je me jurais que si jamais elle refaisait surface et qu'elle essayait de nous contacter, je lui expliquerais ma façon de penser. birdy, elle, n'a pas du tout la même vision des choses. enfin, si, mais c'est différent. ma jumelle compte bien retrouver notre génitrice pour lui dire d'aller se faire foutre, droit dans les yeux. elle en a fait son obsession. parfois, elle me fait peur avec cette histoire, on dirait une psychopathe comme dans les séries policières. mais je l'aime toujours autant parce qu'elle est ma soeur et qu'au fond, je la comprends mieux que quiconque. alors, quand, ce jour-là, elle m'a annoncé qu'elle rentrait plus tôt à blossom hills pour retrouver notre mère, j'ai vu rouge. « de toute façon, j'irais. avec ou sans toi b. j'ai fait mes valises, j'ai réservé mon billet. j'me tire et rien ni personne ne pourra me faire changer d'avis. » ma soeur devenait folle quand on parlait de jade. il y a bien une chose que l'on ne peut pas nous retirer, à nous, les soeurs turner : c'est notre détermination. je savais que, quoi que je dise et quoi que je fasse, elle partirait quand même. je le sais, nous sommes jumelles. « tu crois sérieusement que je vais te laisser y aller toute seule ? plutôt crever que d'être loin de toi baby b. » il n'y a vraiment qu'avec elle que je peux être mielleuse et tendre. il n'y a vraiment qu'avec elle que je peux être celle que je suis réellement. ma soeur, c'est mon tout alors je donnerais le meilleur pour elle. uniquement pour elle.
prendre son envol.
BLOSSOM HILLS, VINGT ANS. « turner ! » je m'arrête net. je reconnaitrais cette voix entre milles. c'est LUI. merde. je n'ai pas le temps, birdy a besoin de moi. elle se trouve à peine à quelques mètres, c'est comme si c'était une mission pour moi de la rejoindre. hors de question que je me laisse distraire. et puis, de toute façon, il n'est pas une distraction. beaucoup trop sûr de lui, je n'aime pas ça. je passe pourtant mon temps à l'envoyer balader, à un moment donné, il aurait dû abandonner depuis le temps. mais non, il est encore là, à essayer, encore et toujours. je ne sais plus quoi faire à force. alors je lève les yeux au ciel et me retourne vers lui. « j'ai pas le temps à perdre avec toi mon chou alors de l'air, dégage, lâche moi les baskets, tu m 'gonfles. va voir ailleurs si j'y suis, va jouer au bac à sable avec tous les enfants qui, j'en suis certaine, ont autant de vocabulaire et de maturité que toi. laisse moi respirer, j'en ai besoin. » je plisse les yeux. il doit comprendre maintenant, il le vaudrait mieux sinon je pense que je vais péter un câble. birdy était arrivée à ma hauteur sans que je ne m'en rende compte. « ce que ma charmante soeur essaye de te dire, c'est qu'on avait rendez-vous et que donc, elle ne peux pas s'occuper de toi pour le moment. mais je te promets que je te la libère au plus vite. » un grand sourire sur les lèvres de la blondinette, un coup d’œil entendu au garçon et celui-ci recule bien qu'il ne semble pas en avoir envie. « c'était quoi ça ?! b. j'avais pas besoin de toi, ça va, depuis le temps qu'il se prend des vents, il faut bien qu'il comprenne à un moment ou à un autre. et d'ailleurs, je n'ai aucune envie de me retrouver dans la même pièce que lui, c'est quoi c'délire ? t'es tombée sur la tête ou quoi ?! » un sourire en coin se dessine sur les lèvres de ma soeur. je ne sais pas ce qu'elle mijote mais cela ne me dit rien qui vaille. « qui a parlé de se retrouver dans la même pièce ? et puis, tu sais, je te trouve vachement dure avec lui. ça fait des années qu'on le connait, des années qu'il te court après et des années que tu rigoles à ses vannes pourries en secret. tu devrais lui laisser une chance b. » je sais que ma moitié est fan des causes perdues mais là, quand même, je m'inquiète de son état de santé moral. j'arque un sourcil. « laisser une chance à ce crétin ? trop peu pour moi, j'ai d'autres chats à fouetter. » birdy secoue la tête, désespérée de mon attitude, surement. « ouais, enfin, le crétin en question est loin de te laisser indifférente. alors ton petit cinéma, tu le joues à qui tu veux, mais pas à moi, hum ? » je tourne la tête avec violence et détermination vers ma jumelle, les yeux grands écarquillés. « quoi ?! nan mais b, t'abuses là quand même merde ! depuis quand il ne me ... oh et puis merde, tu m'saoules tiens. » birdy ne semble pas convaincue et je sais que le silence qu'elle laisse volontairement s'installer entre nous ne sera pas vain. elle va gonfler avec ce garçon alors autant que je m'y prépare avant qu'une nouvelle vague de questions tordues ne soit posée. et puis, elle a peut-être un peu raison de toute façon. mais ça, c'est pas la question. je n'ai pas envie de parler de lui. il me gonfle. mais c'est peut-être ça aussi qui fait qu'il m'attire. merde, mais qu'est-ce que je dis moi ?
la claque.
LONDRES, VINGT ANS. trois longues années passées loin de la belle londres. ma grand-mère me manquait trop alors j'ai insisté longuement auprès de ma moitié pour passer ces vacances d'été sur le sol anglais. birdy a râlé, pendant longtemps même, mais elle a finit par céder. il faut dire que ses recherches sont au point mort alors j'ai pensé qu'une pause ne lui ferait pas de mal. les choses sont toujours aussi tendues entre mon père et ma soeur, je pensais que ces vacances avec grand-mère pourraient les rapprocher, mais j'avais tord. elle ne lui accorde que peu de crédit et lui, il tente désespérément de se racheter auprès de sa fille. leur ballet incessant me donne la nausée. mon père est trop doux avec birdy, il y a longtemps qu'à sa place je lui en aurais collé une. mais elle est comme ça, avec sa bouille d'ange, on est incapable de hausser le ton en sa présence. « tu crois qu'elle arrivera à me pardonner un jour ? » j'étais assise sur la terrasse, près de mon père. encore une soirée que nous avions passé en tête à tête, l'absence de birdy nous assommant un peu plus tous les jours. elle était encore enfermée dans sa chambre, ses écouteurs bien enfoncés dans les oreilles, à attendre sagement que le temps passe. « je n'en sais rien 'pa. c'est une turner, elle finira par revenir. » un petit sourire en coin et je me suis levée, j'ai déposé un baiser sur le front de mon géniteur et je suis allée me coucher. demain, nous repartirons pour blossom hills. demain est un autre jour. demain, je retrouverai enfin celle pour qui je donnerai ma vie. demain, birdy redeviendra cette jeune femme brillante et enjouée qu'elle a toujours été.« je l'ai trouvé ! b. je l'ai trouvé ! » merde mais c'est quoi ce bordel encore ?! ma soeur me secoue dans tous les sens. je grogne et finit tout de même par ouvrir les yeux. il doit être quoi, quatre heures du matin et l'autre, elle est fraîche comme la rosée. quoi que, pas tant que ça quand mes yeux se posent sur elle. elle fait peur à voir. elle n'a encore pas dormi de la nuit. on dirait qu'elle vient d'une autre époque avec ses cheveux en pétards et ses cernes aussi grandes que les chutes du niagara. « mais de quoi tu parles ? t'as encore bu trop d'café et t'as fini par sniffer la moquette ou quoi ? » pas aimable pour un sous et une voix de camionneur. zéro crédibilité. « b, j'ai trouvé maman, je l'ai trouvé ! » hein ? quoi ? elle est sérieuse ?! elle sait très bien ce que j'en pense et le pire, c'est qu'elle a l'air plus qu'heureuse de cette découverte. merde, mais dans quoi elle s'est encore fourrée pour trouver une information pareille ? « et tu viens vraiment de me réveiller à quatre heures du mat' pour m'dire ça ? tu crois pas que ça aurait pu attendre demain nan ? » je passe une main sur mon visage et soupire. putain mais qu'est-ce que je la déteste quand elle fait ça. « elle est à blossom hills brae' ... » mes yeux s'ouvrent en grand. « quoi ?! » non mais alors ça, c'est la meilleure. « j'veux y aller en rentrant. et j'veux que tu viennes avec moi. » je déglutis avec difficulté. « je t'aime b. de tout monde coeur. mais non, j'peux pas et tu sais très bien pourquoi. t'as voulu la retrouver, tu t'démerdes avec ça. c'est hors de question que je t'accompagne. » sur ce, je me recouche et rabats la couette sur ma tête. « j't'en prie b ... » je me mords la langue pour ne pas répondre. elle finira par se faire une raison. je ne viendrais pas avec elle.
faiblesse.
BLOSSOM HILLS, VINGT ANS. birdy a toujours eu cette obsession énervante pour notre mère. et maintenant qu'elle l'avait retrouvé, à blossom hills qui plus est, j'avais un mauvais pressentiment. voilà trois jours que nous sommes rentrées et pourtant, elle qui était si pressée de la rencontrer enfin, n'avait toujours pas trouvé comment l'aborder. le fait que je ne veuille pas l'accompagner la minait aussi, il faut bien l'avouer. mais il était hors de question pour moi d'aller voir cette femme. je savais que je lui cracherai à la figure, pas la peine de se mentir. elle ne mérite pas mon respect, point barre. baby b, elle m'avait dit que notre génitrice, elle avait repris le bureau de tabac. c'est comme ça qu'elle l'avait retrouvé. c'était pendant les vacances, on était à londres. coïncidences ? je n'en sais rien. de toute façon, pas de risque pour papa de tomber sur elle. il a décidé de rester en angleterre. niveau travail, c'est beaucoup plus prisé un avocat là-bas. il reviendra quand il prendra des vacances. il va appeler tous les jours, ou, du moins, au début. après, on verra. buraliste. non mais buraliste. sérieusement ? je l'ai observé toute la journée depuis le café. « t'sais qu'il va pas s'envoler l'bureau de tabac si tu l'quittes des yeux deux minutes ? » barry me tire de ma rêverie. il n'a pas tord. il me regarde un peu de travers, comme s'il cherchait à savoir ce qui m'intriguais autant dans ce commerce. « faut que j'fasse un truc. » je lâche un billet sur la table, récupère ma veste et me dirige vers la sortie. « bb, ta monnaie. » il me regarde en soupirant. je le désespère je crois bien. tant pis. « j'reviendrai la chercher. ou alors j'paierai pas la prochaine fois. » clin d'oeil et sourire malicieux. je sors du café sans plus attendre, prenant la direction du bureau de tabac. une personne devant moi. très bien. le vieux s'en va et je me retrouve face à cette femme. elle lève la tête et se fige. je croise les bras sur ma poitrine. « et oui hein, ça fait bizarre n'est-ce pas ? » froide. cassante. je la vois blêmir petit à petit. un sourire satisfait s'installe sur mes lèvres. oui, je suis une connasse et je vous emmerde. « au cas où ça t'intéresserait, daryl va bien. c'est un avocat redoutable maintenant. » et puis, j'avance d'un pas vers le comptoir. elle recule d'un pas. « tes filles vont bien aussi comme tu peux le constater. mais bon, je doute que t'en ais quelque chose à foutre de toute façon, sinon tu s'rais pas partie. » des reproches. la liste est longue et je ne gâcherai pas mon temps ni ma salive à tout lui déballer. non, ce serait trop facile. « écoute birdy - » je lève la main sèchement. « raté. moi c'est braeden. dommage, t'es tombée sur moins sympathique. » sourire forcé. je plisse les yeux. il est hors de question qu'elle en place une seule. « selon moi, tu devrais vendre. t'as pas grand chose qui te retient ici après tout. et puis, c'est pas au bout de vingt ans que tu peux te pointer et faire amie-amie avec les deux gamines que t'as laissé derrière toi alors qu'on avait qu'à peine six mois. » je fais un pas de plus et me retrouve collée au comptoir. « birdy avait l'intention d'passer ... ce s'rait tellement bien si elle pouvait éviter d'voir ta tronche. elle ne s'en portera que mieux. » des menaces ? oui, clairement. « je sais pas, laisse lui un mot, envoie un carte postale, mais tire-toi. on a pas besoin de toi dans nos vies, c'est déjà assez l'bordel comme ça pour en plus devoir supporter d'avoir à te sourire pour un paquet d'chewing-gum. » d'ailleurs, en parlant de ça, j'en attrape un et dépose la monnaie. le compte est bon. « bonne journée. » un sourire radieux, mais totalement hypocrite, illumine mon visage. je fais demi tour. j'ai dis ce que j'avais à lui dire. qu'elle s'estime heureuse que je ne lui ai pas craché à la tronche. le lendemain matin, le bureau de tabac n'a pas ouvert. comme les jours suivants d'ailleurs. force de persuasion au top du top.
lâcher prise.
BLOSSOM HILLS, VINGT-DEUX ANS. « tu sais ... au fond, mais alors tout au fond, je t'aime bien. » oui, je l'admets, j'avais légèrement, oui, non, carrément, trop bu. je tentais de rentrer chez moi mais c'était un peu comme le parcours du combattant vu l'état dans lequel je me trouvais. après m'être cassé la figure plus d'une fois, c'était évident que ma connexion avec le sol se fasse en montant sur un trottoir à un moment ou un autre. quel surprise ce fut lorsque des bras familiers ont entourés mon corps avant que mes dents ne laissent une trace sur le bitume. c'était lui. encore et toujours lui. ces derniers temps, j'ai l'impression que rien ne va plus. je bois plus que de raison et bien trop souvent. ma soeur passe son temps à tenter de renouer le contact avec l'autre folle qui croit être notre mère ou encore avec lui. traitresse. elle me manque. alors j'avoue noyer son absence dans quelques verres bien dosés. et à chaque fois que je me retrouve dans une situation peu cocasse, il est là. « t'es surtout franchement loin d'être sobre. » mon dieu mais je rêve ou son sourire en coin est incroyablement sexy. ok. plus jamais je ne bois. rester concentrée, cela vaut mieux. « hm. touché. » grimace peu glamour, je baisse la tête et me mords la lèvre inférieure. « pour être honnête, j'te préfère quand t'es bourrée. t'es plus accessible, c'est mieux ... » j'ai ris. et alors, on a discuté. de tout. de rien. à l'heure actuelle, je ne suis pas certaine de me souvenir de tout ce que j'ai pu dire. que dieu me pardonne si jamais j'ai sorti des énormités. et puis, à force de confidences, j'avoue avoir fermé les yeux. juste quelques secondes, pas grand chose. et alors, il m'a relevé avec une délicatesse particulière et m'a porté jusqu'à mon appartement, juste au coin de la rue. j'ai entendu ma soeur éclater de rire quand elle a ouvert la porte. je me rappelle lui avoir dit que je lui ferai la peau, mais je ne suis pas certaine qu'elle en ai tenu vraiment compte. il m'a posé sur mon lit et a rabattu la couette sur moi avant de quitter la pièce. je crois les avoir entendu discuter pendant un moment, mais ce n'était que des voix bien trop lointaines pour savoir si elles étaient vraiment réelles ou non.« non mais tu te rends compte de ce que j'ai fait ?! j'suis dingue. plus jamais je ne toucherais un verre de ma vie ! » birdy éclate de rire. j'ai la tête en vrac et les souvenirs de la veille remontent à la surface. je me rappelle avoir confié mes craintes à ce garçon, lui avoir donné des indices sur celle que je suis réellement et ça, ça fait peur. « tu t'es juste laissée aller b. y a rien de mal à ça tu sais. » je la soupçonne de vouloir me caser avec le crétin et ça, c'est pas bon signe du tout. parce que tout le monde sait que lorsque birdy veut quelque chose, elle l'obtient. et quoi de plus facile pour elle que de faire craquer sa jumelle ? je suis clairement dans la merde à ce niveau là. « ça fait bien longtemps que j'ai cessé de me laisser aller birdy et ce n'est pas maintenant que je vais recommencer. je n'ai pas le droit de faiblir et tu le sais. je suis une turner sans coeur, j'ai une réputation à tenir. » elle soupire. elle me connait mieux que personne. « elle est belle la turner sans coeur tiens ! tu ne te rends même pas compte à quel point tu es formidable brae' et, même si je suis très fière d'être la seule capable de le voir, j'te garanti que tu gagnerais tellement en en prenant conscience et en le faisant partager au monde. » je lève les yeux au ciel. ma moitié est trop sentimentale, trop cérébrale. elle m'énerve. je préfère abandonner la partie parce que je sais très bien que, dans mon état, elle est perdue d'avance. je décide d'aller prendre une douche pour me remettre les idées en place et retirer toute la honte que je peux avoir sur moi. je me suis dévoilée à ce type. pourquoi lui, d'abord ? trop de questions qui se bousculent dans ma tête, c'est affreux. une fois remise en forme et avoir passé plus d'une demi heure sous la douche, je ressors de la salle de bain avec une meilleure tête qu'en y rentrant. « b. t'aurais pas vu- » arrêt sur image. pause. il est là, assis à la table, une tasse de café dans la main. merde. je regarde birdy, incrédule. elle joue à quoi là au juste ? il se lève et me tend la tasse. merde. machinalement, je la prends et je fuis. je vais m'enfermer dans la chambre. j'avale en vitesse ce précieux liquide, attrape ma veste, enfile mes chaussures et je décide de m'enfuir aussi loin que possible du regard de ce garçon. « b. attends ... » je refuse de me retourner, malgré le ton implorant dans la voix de ma moitié. je claque la porte et avance, d'un pas à la fois décidé et énervé. traitresse. « brae' attends moi steuplait. » merde. il me court après, encore et toujours. je refuse de ralentir, il en est hors de question. je ressens tellement de choses contradictoires à son égard que je ne peux pas céder à son appel. et pourtant, il finit par me rattraper, passant un bras autour de ma taille. je frissonne et m'arrête finalement. « écoute moi bien. ce qu'il s'est passé cette nuit, tu l'oublies. tu m'oublies. j'ai dis des choses que je n'aurais jamais dû te dire. et le pire dans tout ça, c'est que je suis incapable de t'en vouloir parce que tu es toi et que je n'arriverais pas à t'en vouloir de faire les choses bien. » wait. j'ai vraiment dit ça ? « ma soeur est convaincue que tu es quelqu'un de bien et je la crois. mais je ne le suis pas alors c'est une histoire sans fin. il n'y a pas de début à tout ça et probablement pas de fin possible. » je me surpasse moi-même. je continue malgré moi à me dévoiler à lui et je ne comprends pas pourquoi. « ça fait des années et des années que je te connais brae', des années et des années que j'te vois grandir alors t'as pas le droit de me dire que tu n'es pas quelqu'un de bien. t'as toujours soutenu ta soeur, t'as toujours défendu ton père. tu ne peux pas dire que tu n'es pas quelqu'un de bien, je ne te laisserai pas faire. » il met tellement de conviction dans tout ce qu'il me dit que ça me touche, je ne peux pas le nier. mais je ne peux pas non plus rester. ce serait trop dangereux. je n'ai pas le droit de lâcher prise. « faut que j'aille bosser ou barry va péter un câble. » avant même que je ne puisse faire ou ajouter quoi que ce soit de plus, ses lèvres se plaquent sur les miennes. genre, comme ça, en plein milieu de la rue, devant tout le monde. bon, d'accord, y a personne mais bon quand même. et le pire, c'est que je suis incapable de bouger. merde. je me rends compte que j'aime ça en fait. putain mais qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? alors que le contact se rompt, un sourire s'inscrit sur son visage. et moi, dans tout ça ? et bien, moi, je fuis, une fois de plus. cette fois-ci, il ne me rattrapera pas. il n'a pas essayé de me rattraper les jours suivants. il était là, mais ce n'était pas comme avant. peut-être que moi aussi, j'ai changé. je ne saurais le dire. je lui ai laissé une porte entrouverte malgré tout, je le sais. ce que j'ignore cependant, c'est si j'ai vraiment envie de la refermer.
faire semblant.
BLOSSOM HILLS, VINGT-TROIS ANS. c'est n'importe quoi, il ne faut pas se mentir. quelle personne à peu près saine d'esprit serait assez conne pour faire ce que j'ai fait ? non mais sincèrement, il va falloir que l'on m'explique un jour. non mais parce que là, je suis certaine que birdy est encore en train de rire à s'en pisser dessus depuis deux semaines. non mais sérieusement. vous ne me croyez pas ? très bien, laissez-moi vous raconter alors. il y avait cette soirée. l'une de celles qui finissent forcément par partir en sucette à un moment donné par ce que trop d'alcool et pas forcément assez d'ambiance. des petits groupes qui papotent, de la musique pour divertir les plus dégourdis, de l'alcool à foison et j'en passe et des meilleures. bref. le sujet de ma connerie, tout le monde s'en doute. c'est l'autre crétin de service. oui, ça va, vous l'aviez deviner. mais pensez donc un peu à ceux qui prennent l'histoire en cours de route. faut bien resituer les choses pour que tout le monde comprenne. bref². j'étais donc à cette soirée. birdy n'a pas voulu m'accompagner. je ne sais plus vraiment pour quelle raison obscure mais bon, passons. un peu à l'écart, j'étais en train de me dire que j'allais rentrer. je ne me sentais pas à l'aise, j'avais l'impression d'étouffer pour une raison que j'ignorais totalement. c'était l'une de ces soirées un peu trop froide où personne n'osait vraiment mettre le nez dehors au cas où ils se mettraient à fondre. c'est vrai, on ne sait jamais ce qu'il peu se passer. tout le monde semblait être à l'intérieur. tout le monde sauf moi. j'écrase cette cigarette que je ne m'autorise qu'en soirée. il va falloir que je rentre. « bb ? » oh merde. cette voix, c'est pas compliqué, je ne pourrais pas me tromper sur le propriétaire, même si je le voulais. j'ai fait volte-face et je me suis retrouvée nez à nez avec le blondinet. oh merde². « tu comptes me faire boire jusqu'à ce que je sois plus accessible ? »je plisse les yeux. ouais, parce que, cette phrase là, elle m'est revenue en mémoire. il me préfère quand je suis bourrée parce que plus accessible. je t'en foutrais de l'accessibilité moi. il arque un sourcil. « t'as pas besoin de moi pour te saouler la gueule. et puis, de toute façon, qu'est-ce que t'en as à foutre ? » touché. cela dit, c'est quoi cette nouvelle façon de prendre la situation comme elle vient ? fut un temps, il aurait insisté, se serait accroché à ce que je pouvais lui offrir. aujourd'hui, c'est comme s'il s'en foutait royalement. merde. je suis en train de le perdre. lassé par ce jeu que j'ai instauré moi-même sans forcément le vouloir. merde². il m'observe et, devant mon mutisme devenu naturel en sa présence, il hausse les épaules et tourne les talons. réfléchis braeden, c'est pas le moment de tout foutre en l'air. « attends. » oui mais quoi au juste ? ça, je n'en n'ai pas la moindre idée et il va falloir que j'en trouve une parce qu'il s'est arrêté et qu'il revient vers moi. « quoi ? tu vas encore me dire d'aller m'faire foutre, que j'perds mon temps et que t'es pas assez bien ? ça va, j'connais le refrain, j'ai même une idée du dernier couplet » je soupir et me gratte l'arrière de la tête. si, maintenant, on ne peut plus rien dire, je ne sais pas comment je vais m'en sortir. « tu vois, j'ai fini par retenir la leçon. j'suis pas si con que ça, j'me suis juste dit que j'devais essayer jusqu'à en avoir marre de jouer. mais j'avais oublié que j'avais une turner devant moi, et pas la plus facile. » ses mots me touchent. je ne saurais définir dans quel sens exactement, mais il me touche. bordel, mais c'est quoi ce sentiment bizarre qui gonfle dans ma poitrine ? « t'as gagné b. t'as prouvé une fois de plus que t'étais la pire des connasses. mais l'problème, tu vois, c'est que j'dois être un peu mazo sur les bords pour avoir encore envie de rester de te laisser saisir ta chance. parce que putain que j'aurais dû fuir depuis l'temps. » ah ça garçon, c'est toi qui l'a dit. « tu m'énerves braeden. tu m'énerves parce que même quand tu dis plus rien, t'es craquante. et ça, c'est ton plus gros problème. parce que, peu importe que tu souris, que tu sois en colère ou complètement aphone, j'arrive pas à changer la vision que j'ai de toi. et c'est ça qui fait mal. » putain mais c'est quoi ce mec, sérieusement ? « alors quand t'auras décidé de ce que tu veux faire, tu sais où me trouver. j'dis pas que je t'attendrais encore éternellement parce que j'ai déjà attendu depuis un bon bout de temps. mais j'te laisse de la marge. jusque là, j'arrête de jouer, ça ne m'intéresse plus. plus depuis le jour où j't'ai embrassé et que j'ai senti que j'n'étais pas le seul à avoir des sentiments. » et bam, prends ça dans ta gueule b. à nouveau il fait demi-tour afin de s'éloigner. c'est là que c'est parti en vrille. parce que j'avais même pas pu trois verres et que j'tenais encore très bien debout. le mec, il a réussi à me retourner le cerveau en un éclair. le mec, il a ce pouvoir sur moi que personne d'autre n'avait réussi à avoir jusqu'à présent. le mec, il a réussi à me faire tomber de mon piédestal. et ça fait mal. dans un élan de génie ou de pure stupidité, j'ai agrippé son bras, le forçant ainsi à se retourner vers moi. je n'ai rien dit, rien du tout. j'ai juste plaqué mes lèvres contre le siennes. putain qu'est-ce que ça fait du bien n'empêche. ça n'a pas duré une éternité, l'histoire de quelques secondes qui ont pourtant parues si longues. lorsque j'ai rompu le contact, je n'ai même pas trouvé la force de le regarder dans les yeux. « je ne suis pas de ces animaux que l'on met en cage, j'suis pas non plus très douée pour exprimer ce que je ressens. travailler sur les autres, c'est mon truc mais sur moi, ça devient une catastrophe monumentale. j'sais même pas pourquoi j'viens de faire ça, j'sais même pas pourquoi j'viens de te dire ça. » je me recule d'un pas. même pas bourrée que je me confie comme si je l'étais. ça craint. « j'ai besoin de temps pour comprendre ça, c'qui s'passe. j'ai besoin d'aide aussi, mais pas trop. je sais, c'est compliqué, mais c'est comme ça. je suis comme ça. j'suis désolée. » j'ai relevé la tête et j'ai vu un sourire sur son visage. il avait la tête penchée sur le côté. j'l'aurais bouffé tiens. « à plus tard turner. » a-t-il simplement dit avant de s'engouffrer à l'intérieur. putain mais quelle connerie.