Sloane ◘ Sometimes we need to take a rest

La porte venait tout juste de s’ouvrir. Ce même espace s’offrait devant elle. Une pièce chargée d’histoire ou du moins, c’est ce qu’on voulait lui faire croire. Le bureau était placé en son centre, boisé, noir, il imposait un respect bien particulier à mesure qu’on avançait dans cette pièce. C’était comme si, il cherchait à éradiquer toute trace du passé, tout ce qui faisait de chaque être humain un être unique à part entière. Elle avait à chaque fois l’impression qu’on allait la formater, lui laissait croire qu’elle allait s’en sortir totalement, parce qu’ils étaient censés l’aider. Etait-ce réellement de l’aide ou au contraire du dépit par rapport à l’argent qui tombait chaque mois dans leurs poches ? Sloane secouait déjà sa tête, signe de sa volonté de taire sa témérité. Tel le robot en plein apprentissage, elle retrouvait ce fauteuil cramoisi, sur lequel elle s’était assise à maintes reprises. Un fauteuil qu’elle avait en horreur d’ailleurs, tant il lui rappelait ce qu’elle avait fait. Finalement, le passé n’était pas si absent qu’il n’y paraissait. « Bonjour Docteur. » « Bonjour Sloane, comment ça va aujourd’hui ? » Il effectuait ce même mécanisme. Il venait tout juste de se lever de son bureau pour prendre place en face d’elle. Un carnet sur les genoux, un stylo dans l’une de ses mains. Il remontait ses lunettes et la regardait, à ce même instant elle lui souriait. « ça va et vous ? » Il fallait toujours dire qu’elle allait bien, cela permettait ainsi à tout un chacun de s’échapper des problèmes qu’ils encourraient. Une des leçons qu’elle avait apprise seule. « Le temps est au beau fixe, donc je pense pouvoir dire que je vais bien aussi, je vous remercie. » Une première rature sur son calepin. Un premier mot qui se couchait sur le papier et qui laissait échapper un soupir de la par de cette fille. « C’est vrai qu’il nous offre de belles journées, on peut sortir et faire des choses. Hier j’ai pu aller me promener un peu, c’était bien. » Oui ça l’était, elle était sincère dans ses dires et son sourire s’acheminait doucement de ses lèvres pour se transmettre sur celles du psychologue. On lui avait laissé ce droit, cette liberté, signe qu’ils lui faisaient confiance à nouveau. « Ah vous avez pu faire une balade ? Et qu’avez-vous vu ? » Sloane lui racontait dans les moindres détails cette journée, lui rappelant ce que cela pouvait faire de sentir l’air frais s’engouffrer dans sa poitrine, de pouvoir admirer les splendeurs des lumières du soleil sur certains éléments : les plantes, le sol, les rocailles, la nature. Il notait quelques informations sur son carnet, les unes avec plus de vélocités que d’autres. Qu’est ce que cela signifiait ? Elle n’en avait aucune idée, mais peut être était-ce quelque chose de bien. « Bien, je vois que l’optimisme est au rendez-vous aujourd’hui. Désirez-vous aborder un sujet particulier ? » Le regard de cette fille tombait sur ses mains. Comme si le joug de son assaillant venait de la condamner à mort. « Quand j’étais dehors, ça m’a rappelé quand on se baladait comme ça, sur le parc du campus. Quand on riait et qu’on se moquait des uns ou des autres, quand on vivait tout simplement. » « Votre meilleur ami c’est ça ? » Elle hochait la tête de manière affirmative. « Oui, ça me manque. » Il venait de gribouiller une autre écriture, quelque chose de plus fin. Peut être une bonne chose ? « Si il était là, que pensez-vous qu’il vous dirait ? » Sloane remontait son regard et prenait conscience de l’expression du praticien. Est-ce qu’il venait vraiment de lui poser cette question ? D’ordinaire, quand il lui demandait des choses, cela n’importait jamais son jugement. « Je ne sais pas, sûrement qu’on en fera d’autres et qu’on ira manger un hot dog dans le coin du parc. » A moins que cela ne soit autre chose. Elle n’était pas dans la tête de son meilleur ami et autant l’avouer, elle songeait plus au fait qu’il aurait honte d’elle plutôt qu’autre chose. La raison de son acte passé lui échappait encore. Pourquoi ? Raphaël n’avait jamais rien était avant tout ça. Comment avait-elle pu être aussi bête en osant croire à quelque chose avec lui ? Mais surtout pourquoi est ce qu’elle avait réagi de cette façon ? « Ou alors il m’en voudrait, parce que je l’ai laissé tomber. » Un soupir s’échappa doucement d’entre ses lèvres. Finalement la sincérité prenait le dessus. « De quelle manière l’avez-vous laissé tomber ? » Visiblement, Sloane avait réussi à franchir un cap. Car cette simple question aurait soulevé, il y a de cela deux mois, des colères sans précédent et un refus bien présent de réponse de sa part. « Parce que j’ai fais une bêtise et que j’ai été égoïste. Je crois que chacun a sa part de responsabilités, mais cet acte n’a été que mon propre choix que j’ai infligé aux autres, à ceux qui tiennent à moi. J’ai été aveugle, emportée par ce que je ne comprenais pas, enfermée dans ses pensées noires. Le pire c’est qu’il était là, et qu’il m’aidait, mais je n’arrivais pas à le voir. Et pour ça, ce serait normal qu’il m’en veuille. » « Le pardon doit d’abord se faire avec soi même avant d’aspirer à s’étendre avec les autres. Je pense sincèrement que vous avez conscience de vos dires et vos remords sont fondés. » Elle triturait ses mains moites, elle ne comprenait pas la signification de tout ceci, mais le ton qu’il venait d’employer laissait présager en quelque chose de bien. « Que pensez-vous réaliser quand vous sortirez d’ici ? » « Vivre ma vie. » Ces trois mots étaient chargés de sens. Un sens bien conséquent qui laissait ainsi présager de ses nouveaux objectifs. Il fallait qu’elle s’efface de son passé et ce même si la douleur était bien vivace. Christopher méritait mieux qu’elle. Il méritait une vie heureuse, sans que le fantôme de sa meilleure amie suicidaire ne vienne entraver tous ses projets.

Nous étions au cours de la troisième année depuis cette conversation. Sloane avait pu acquérir de son autorisation de sortie dans les six mois après cette entrevue. Libre, elle se réfugia auprès de ses parents, chez qui elle passa un temps assez conséquent. Elle apprenait à se reconstruire, à envisager une vie de manière différente. Mais jamais elle ne parvenait à chasser son meilleur ami de ses pensées. Il était toujours là, prêt à lui tendre la main, à lui sourire aux instants où elle sentait qu’elle allait flancher. Il lui permettait de penser à autre chose. Qu’est ce qu’il devenait ? Etait-il heureux ? Avait-il trouvé une autre colocataire avec qui il passait de nombreuses soirées à parler ou à regarder des films ? Peut être… Cela aurait été probablement mieux ainsi, car il serait passé à autre chose et en serait heureux. Tout cela pour dire, qu’elle ne pouvait se séparer de lui. Il était toujours là et de toutes manières, elle ne voulait pas qu’il s’en aille. Même si elle, elle avait pris la décision de le laisser s’envoler sans elle. Sa vie recommençait doucement. Mais avec son passé, elle ne pouvait plus exercer ce métier qui la faisait rêver. C’était entièrement de sa faute… Voilà pourquoi, elle chercha à faire valoir son savoir faire d’une autre façon. Elle entreprit de réaliser des études dans les préparations pharmaceutiques. Certes, ses antécédents lui portaient préjudices, mais il n’en restait pas moins qu’elle arriva à trouver quelqu’un qui accepta sa requête. Une fille jolie qui veut s’en sortir, ça ne court pas les rues apparemment. Deux ans plus tard, Sloane avait obtenu les qualifications nécessaires pour exercer ce métier. Néanmoins, il lui manquait quelque chose… Elle avait besoin de liberté mais surtout elle ressentait un vide intérieurement. C’est ce qui la poussa à parcourir le monde pendant un an. Une pause qui lui permit de prendre encore plus de recul. Loin de sa famille, loin de sa terre natale, loin de son pays, loin de tout. Et comme le dit si bien le dicton, c’est lorsqu’on est éloigné qu’on ouvre les yeux sur ce qui nous manque le plus. Et ce qui lui manquait le plus n’était autre que son meilleur ami. Christopher n’était pas là avec elle à partager des souvenirs. Il ne lui souriait plus, mais avait de plus en plus ce regard réprobateur quand elle pensait à lui. Alors, pour ce faire pardonner, et pour essayer de le rassurer ou plutôt de se rassurer, elle commença à acheter des petits souvenirs dans chaque pays qu’elle visitait. Des portes clés qu’elle gardait précieusement avec elle, dans l’espoir qu’un jour elle puisse les lui offrir. Bien sûr, chacun avait sa petite histoire, ce signe qui lui faisait penser à lui à chaque fois. Son meilleur ami. Ou peut être en fait plus que ça. A chaque fois, qu’elle se rendait compte que ses sentiments étaient différents, Sloane rejetait toute idée et essayait de penser à autre chose. Ce ne fut qu’en rentrant de ses voyages, il n’y a que six mois, en re découvrant sa famille qu’elle ouvrit véritablement les yeux. Elle était heureuse de les retrouver tous, bien entendu, mais il n’était pas là. Une part d’elle en souffrait, une part qu’elle préférait taire encore un peu. Le temps lui ferait oublier certainement. Ou peut être pas. Car plus le temps passait et plus ce vide se renforçait. Si bien qu’elle osait croire que si elle revenait à Blossom alors peut être que Chris serait heureux de la revoir. Oui certainement, il le serait. Mais avant de franchir ce pas, il fallait qu’elle se persuade elle-même que tout ce qu’il s’était passé pourrait changer. Son grand problème était surtout la confrontation qu’elle devrait probablement avoir avec Raphaël. Pourtant, Sloane avait travaillé tout cela. Si bien, qu’elle avait conscience au fond d’elle, qu’il n’était pas à blâmer. Après tout, il ne lui avait jamais rien laissé croire, c’était elle seule qui s’était mis cette idée en tête. Elle était même persuadée qu’il ne savait rien à son sujet. Sauf, si Christopher était allé le voir pour lui en parler… Le doute s’immisçait doucement en elle, devait-elle réellement retourner la bas ?

Il lui fallut six mois de plus pour se persuader qu’elle pourrait s’y rendre. Six mois au cours desquels, les sentiments qu’elle ressentait pour son meilleur ami lui devenaient de plus en plus clair. Si elle tenait énormément à lui, ce n’était pas uniquement par amitié, mais bel et bien par amour. Un amour sincère et refoulé, qu’elle n’avait pas désiré voir parce qu’il méritait tellement mieux qu’elle. Mais peut être qu’en fait ils étaient faits l’un pour l’autre ? Mais comment lui dire ? Elle qui l’avait abandonné, elle qui avait voulu laissé tout ceci de côté, voilà qu’elle sentait au fond de son cœur qu’elle devait le rejoindre. C’était à son tour de prendre soin de lui et ce même si elle devrait taire à tout jamais son amour. Il était son meilleur ami et elle se devait de le remercier par sa présence et par son amitié de tout ce qu’il avait pu lui offrir.