Elicia - Rose bleue

Troisième enfant d'une famille qui en compte cinq, j'étais aussi la première fille. Deux héritiers avant moi, je n'avais pas grand chose à craindre des volontés des parents, et pourtant. Mon enfance fut ni forcément heureuse, ni forcément malheureuse. Si je n'étais pas proche de mes géniteurs, je l'étais de ma fratrie. Enfant du milieu, j'étais la petite protégée des deux grands pendant que j'essayais au mieux de materner les deux plus jeunes. Voila. Mon histoire aurait pu s'arrêter la, mais il a fallu que le destin en décide autrement. Plus nous étions jeunes dans la famille, moins les parents et l'aîné voulaient de nous. Je me souviens d'une fois, avoir voulu montrer à ma mère un dessin de ma composition, assez réussi sans me vanter, pour une demoiselle de mon âge. Elle a à peine levé les yeux vers celui-ci, me gratifiant d'un « C'est bien Eli, mais regarde, ton frère à eu un A+ en sciences ! N'est ce pas formidable, nous devons fêter ça. ». Rose noire. Seulement, des A+, l'aîné, il en avait tous les jours, et moi, jeune rêveuse, tête en l'air, avec mes B ou mes A- grand maximum, je ne faisais pas partie de l'élite. Je m'étais résignée pour cette fois, une autre fois, j'avais pesté qu'il n'y en avait que pour lui. J'avais été punie. Fini les rebellions. Mes malheurs auraient pu s'arrêter là, mais une nouvelle fois, la plume du destin en avait décidé autrement, une nouvelle fois.


J'aurai souhaité que cette matinée disparaisse de ma vie à jamais. Mais visiblement, c'était trop compliqué à demander à monsieur le bon dieu, ou le saint esprit, ou je ne sait qui d'autre de me faire un lavage de cerveau. J'étais en train de lire dans ma chambre, c'était le lieu où je me sentais le mieux. J'avais dix-neuf ans, un bel avenir devant moi je pense, qu'il soit professionnel ou familial. J'étais amoureuse. Le seul homme que j'avais aimé jusqu'à maintenant. Mes études se passaient bien. Mais bien sûr, il fallait une ombre noire au tableau. Ça ne m'était pas arrivé depuis longtemps. J'ai entendu courir dans les escaliers, et ma sœur à ouvert la porte dans un fracas assourdissant. « Eli, Jacks a eu un accident ! Il est à l'hôpital ! » Ni une ni deux, mon livre finissait au sol, une veste attrapée à la va vite, les escaliers descendus quatre à quatre, et nous sommes allées à l'hôpital avec ma sœur. Sur place, uniquement Simon, mon petit frère. « Simon, des nouvelles ? »  « Il n'est pas en danger, mais ses jambes sont dans un sale état. Il risque la paralysie. Son copain est mort sur le coup. » « Quel copain ? » Ma question avait été sans doute un peu rapide, d'autant que l'état de mon frère aurait dû plus m'inquiéter. Mais je les savais inséparables, et si mon cœur savait déjà ce qu'il prononcerait, je ne voulais pas y croire. « Leo. » Vous savez ce que ça fait un monde qui s'écroule ? Moi oui. Les gens loin qui s'effacent, dans un murmure, les paroles de mon frère et ma sœur qui me voient devenir blanche. Des souvenirs d'une courte vie qui, contrairement à ce que je pensais n'aurait pas d'avenir. J'aimais Leo, je l'aimais d'amour. A force de suivre Jacks, j'avais fini par le rencontrer, je pense même qu'il était pour quelque chose dans le début de notre histoire. Leo allait devenir son frère. Nous ne l'avions pas annoncé, mais nous voulions nous marier. Tous ces projets d'une vie à deux, envolés. « Eli ! Eli, est-ce que ça va ? Eli répond moi ! » « Eli ! » Mes larmes coulaient à flos, mais je me forçais à sourire. « Ça va. J'étais juste inquiète pour Jacks, et le fait qu'il soit en vie m'a ôté beaucoup d'inquiétude. Ça va aller. » En fait, je savais que ça n'irait pas. Pas tant que je n'aurai pas vu Jackson. Quelques jours plus tard, l'enterrement de Leo avait eu lieu. Jackson n'avait pas voulu venir, je ne l'ai pas forcé, mais je pensais qu'il aurait été plus facile de faire son deuil s'il était venu. Faible femme, impossible d'insister, c'était tout moi. De noir vêtue, je suis allée au cimetière pour un dernier adieu. Mes rêves partaient en même temps qu'on jetait de la terre sur son cercueil, chaque pelletée pour une idée que nous avions eu a deux. Adieu, Leo.


Quelques années plus tard, on tente toujours de se reconstruire des épreuves du passé. Je n'ai pas oublié Léo, mais je ne pleure plus. Jacks fait beaucoup d'effort pour sa rééducation, il va remarcher bientôt je pense. Et c'est une bonne nouvelle. « Elicia, chérie ? Tu peux venir une seconde ? » Ça par contre, ce n'était jamais signe d'une bonne nouvelle. Le "chérie" d'après mon prénom voulait dire que mes parents avaient sans doute eu une nouvelle idée farfelue et que cette fois, ça tombait sur moi. En bonne fille obéissante, j'étais venue. « Eli, tu connais Mr et Mme Tucker ? Ils sont revenus avec leur fils, tu sais, le garçon qui a ton âge. » J'approuvais, sachant que très bien qui ils étaient. Oui, leur gosse me tabassait quand on était petits, avant de me voler mes affaires ou mon goûter selon ses envies. Petite teigne. Ce n'était qu'une histoire de gosse, nous devions avoir cinq ou six ans, et il était facile de s'en prendre à une gosse qui ne parlait pas. Aujourd'hui, ça ne me fait plus ni chaud ni froid, le fils Tucker, Ian, était parti quand il avait six ans. Dix-sept ans plus tôt. « Nous allons dîner avec eux ce soir. Tu vas venir avec nous, vous pourrez parler du bon vieux temps. » « Je ne suis pas certaine que ce soit ... »  « Eli, bien sûr que c'est une bonne idée. Et puis pas besoin de te changer, tu es parfaite, nous partons. » Ma mère avait définitivement quelque chose en tête. Et quand je suis arrivée la bas, j'ai compris. Mme Tucker s'occupait d'organiser des mariages, qui dit mariage, dit fleurs, et qui dit fleurs, dit Bird. Six mois après, ma mère avait réussi à me convaincre que j'aimais Ian, et nous nous sommes mariés. Mariage Tucker avec fleurs Bird. Un buisness de famille. Je vis ça comme une opportunité. Celle de quitter Blossom Hills ou j'étouffais un peu de la pression des parents, depuis que Jacks avait décidé de reprendre la boutique. J'étais forcément la suivante sur la liste. Ian n'était pas méchant en soit, il était juste ... jamais la. Et volage. Et amateur de jeux et d'alcool. Sinon, il aurait pu être l'homme parfait. La seule chose qu'il me reste de bien de lui, c'est ma fille. Oui, je suis maman. Quoi de mal à ça, j'ai été mariée, j'avais un travail, et du temps pour m'occuper de mon petit. Elle est arrivée l'année de notre mariage, j'avais a peine vingt-deux ans, et elle est aussi la raison qui m'a durcit le caractère. Si je ne l'avais pas eu, je serai restée une femme trompée, attendant le mari volage tous les soirs, à faire comme si de rien, histoire de faire bonne figure. Mais je ne pouvais pas rester comme ça, pas pour ma fille. Et cette fois, le bon dieu était de mon côté. Ian a eu un accident de voiture, rien de grave, mais il était énormément alcoolisé et en possession de choses qu'il n'aurait pas du avoir. J'en profitais pour déposer les papiers du divorce avec ceux-la. Jugement prononcé, j'obtenais pleinement la garde de ma princesse, et je signais par la même occasion un bail à Blossom Hills pour nous deux. J'étais revenue. Ça fait trois ans.


La technologie est une chose merveilleuse pour camoufler ses défauts. Sur internet, on était sur de soi, car l'autre ne pourrait rien faire derrière son écran. Je m'étais décidée à discuter avec quelques personnes, au début, pour rigoler, avec ma meilleure amie, et fantasmer sur les photos de types qu'on ne connaitrait jamais mais qui ne sont pas non plus inaccessibles comme les acteurs de nos séries préférées. Et au fur et à mesure, on ne répond plus à ceux qui ne nous intéressent plus, où le jeu n'est plus amusant. Toutefois, il me reste une personne. Et les discussions par mail entre lui et RoseBleue, à savoir moi, se multipliaient pour atteindre plusieurs mails par jours. Au début, ce n'était que des histoires, on se prend pour Roméo et Juliette via internet, puis tout devient plus réel. Qu'est ce que tu fais dans la vie, quelles sont tes passions. On ne juge plus, on veut juste connaitre, et on commencer à aimer un homme qu'on a jamais aperçu, car avec lui, les conditions de départ étaient : pas de photos, pas de questions personnelles, pas de rencontres. Cultiver le secret, le mystère, avait quelque chose d'attirant. Mais nous avions déjà déroger à une règle. Celle des questions. Et les règles sont faites pour être transgressées non. Je ne le savais pas encore, mais ce cher inconnu arrivait en ville. Pour le meilleur ou pour le meilleur. Le pire, c'était assez, pour une fois, j'avais envie d'être heureuse.