hannibal » this will never end cause i want more.

« Des créatures de Dieu qui s’étaient endormies en pleurant, ouvraient les yeux pour pleurer de nouveau. »
Le Silence des Agneaux.

Je suis riche. Je suis riche. Je suis riche. Ca sonne bien non ? Alors je le répète encore une fois. Je suis riche. Je l’ai toujours été, depuis le jour de ma naissance. En l’année 1991, maman mettait son deuxième enfant au monde, après un premier fils de déjà quatre ans. Elle a passé des heures dans cette salle à tenter de faire sortir cette petite chose immonde de son corps. Moi. Je lui ai donné du fil à retordre, mais elle était heureuse, et papa aussi. En plus d’avoir des millions de dollars sur leurs comptes en banque, ils ne manquaient pas d’originalité. C’est pour ça qu’ils m’ont appelé Hannibal. Maman dit que la sage-femme a tiré une tête de six pieds de long quand ils lui ont annoncé, mais peu importe. J’étais là, c’est tout ce qui comptait. J’étais un bébé comme les autres, je pleurais, je mangeais, je dormais… mais mes parents ne se sont jamais levés une seule fois en pleine nuit, il y avait la nourrice pour ça. Une pauvre mexicaine sans papier qui devait suer sang et eau pour ne pas retourner de l’autre côté de la frontière. Papa est le directeur général d’une entreprise pharmaceutique très prisé aux Etats-Unis, maman est juge, ça vous donne une idée de leur situation financière ou pas ? Ils n’ont jamais manqué de rien, mon frère et moi non plus. On vivait dans le luxe, une immense baraque sur les collines d’El Paso au Texas, un truc de dingue qui faisait baver les plus envieux. J’ai même réussi à m’y perdre, c’est pour vous dire. Mes parents ne se gênaient pas pour montrer qu’ils avaient du pognon, quitte à passer pour des prétentieux haut de gamme, c’est ce qui faisait leur force. J’ai appris les bonnes manières dès mon plus jeune âge, parce qu’il faut conserver l’image de la famille. Papa était trop occupé par son travail, maman par ses réunions avec les autres pétasses de bourge du quartier. La personne que je voyais le plus souvent était mon frère, alors c’est pour dire. On passait le plus clair de notre temps ensemble. J’ai fréquenté l’une des meilleures écoles de la ville, et j’obtenais d’assez bons résultats. En même temps, je n’avais pas trop le choix. Suivis par un professeur personnel à la maison, je devais m’appliquer sinon je risquais d’en entendre parler… Papa était toujours là pour nous passer un savon, le premier à s’y coller parce qu’il adorait montrer son autorité et en abuser. J’en ai reçu des gifles quand j’étais gosse, mais je devais probablement avoir le goût du danger et du risque. J’adorais braver les interdits, voir la veine au niveau de la tempe de papa palpiter quand il me criait dessus… Au moins là, il s’intéressait à moi. Et puis j’ai trouvé quelque chose pour canaliser mon énergie, en partie. Je me suis trouvé une passion pour la danse à l’âge de neuf ans. J’adorais ça, et même si ça faisait un peu gonzesse pour papa, maman a accepté de m’inscrire à des cours. Vous n’imaginez pas le bien que ça fait… j’ai commencé par les bases, le classique, parce que c’était logique pour maman, et ça ne m’a pas dérangé. J’ai subis des moqueries à l’école, parce qu’un garçon qui fait de la danse, c’est ‘’débiiiiileuh’’. Je me suis un peu senti comme Billy Elliot, vous voyez ? Mais peu importe, le jugement des autres est le cadet de mes soucis et il m’en faut beaucoup plus pour me déstabiliser. Mon frère m’a toujours soutenu et c’est ce qui comptait le plus à mes yeux. Papa a finit par l’accepter et n’a pas cherché à m’en empêcher, probablement parce que maman lui ordonnait de me foutre la paix. Mon enfance était comme ça, rythmé par l’argent qui coulait à flot, la découverte de ma passion définitive, un quotidien trop millimétré… Ce n’est pas si cool d’être pété de thunes, mais au moins, je ne pouvais pas me plaindre de quoi que ce soit quant à mes besoins et mes caprices. J’avais tout ce que je voulais, et c’est très bien comme ça.

« T’es un suceur de nœuds ?! » « Chef, non, chef ! » « Mon cul ! J'te parie que t’es capable de pomper une balle de golf à travers un tuyau d’arrosage ! »
Full Metal Jacket.

L’adolescence, probablement la période la plus cool de toute ma vie. J’ai adoré faire ma crise de puberté, gueuler quand quelque chose ne me plaisait pas, vouloir sortir du moule et renier la société comme un misérable rebelle. J’ai voulu aller au-delà des limites et j’ai commencé en douceur. D’abord, mes copains de collège étaient tous dans le même état d’esprit que moi, si bien qu’on faisait les quatre cents coups ensemble. On allait jusqu’à sécher les cours, traîner en ville, boire et fumer en cachette… des trucs de petits cons, rien de bien méchant. J’ai toujours adoré le risque et le danger, alors je faisais tout pour m’y embarquer. La première fois que je me suis fais chopé par les flics, papa voyait rouge, mais il a suffit d’un petit billet dans la poche du représentant de la loi pour que l’affaire soit oubliée. Je n’ai jamais vraiment été puni pour ce que je faisais, parce que mine de rien, mes parents n’avaient aucun pouvoir sur moi. Ils étaient trop occupés par leurs boulots respectifs pour me surveiller jour et nuit. Sans compter mes absences répétées en cours, j’avais quand même des résultats corrects mais ça ne suffisait pas, évidemment. Je n’en avais rien à faire, tout ce qui m’intéressait était la danse. Je n’ai jamais arrêté les cours et ai progressé très vite, quitte à devenir le meilleur élève de mes cours. J’ai varié les styles, appris différentes variétés de danse et passait la plupart de mon temps libre dans ma chambre à m’exercer. Quand je vous dis que ça rythme ma vie, ce n’est pas à moitié. C’était à chaque fois une libération, ça me faisait un bien fou et je ne pouvais plus m’en passer. Les années défilaient, et lorsque j’arrivai au lycée, maman commença à me parler de mon avenir. Il fallait bien que le sujet soit mit sur le tapis. Elle aurait voulu que je suive les traces de papa, que je reprenne son entreprise mais je laissais cette tâche ennuyante à mon grand frère. Je voulais être danseur, parcourir les scènes du monde entier pour montrer mon talent. Maman m’a comprise, mais pas papa. Il n’était pas d’accord, et je m’en cognais royalement. J’aimais tellement contredire tout ce qu’il pouvait me reproche, aller au-delà de ses interdictions… Il n’arrivait pas à me tenir en laisse, et c’était jouissif. Ah, et puis il y a eu l’amour, ce petit truc dont tout le monde parlait à l’école, ce sentiment que l’on disait magique. J’ai eu ma première petite amie à 15 ans. Elle était belle, gentille, mais chiante au possible. Notre relation n’a pas été longue, nous avons tous juste eu le temps de perdre notre virginité ensemble, le seul point positif de notre amourette. Et puis, il y a eu ce garçon… Kaleb. Alors, ne me demandez pas comment, ni pourquoi, mais je l’ai trouvé super canon à partir du moment où nos regards se sont croisés pour la première fois. C’était comme inné, enfoui au fond de moi depuis le début. Je n’acceptais pas l’idée que je puisse être attiré par un garçon alors j’ai ignoré ce sentiment. Jusqu’à cette soirée chez un camarade de classe. J’ai bu, lui aussi. Nous avons flirté, nous avons couché. C’était génial, énorme, juste… formidable ! Et qui a dit que ça s’est arrêté là ? Oh non, loin de là. Nous avons formé un couple, parce que je l’aimais. Il était gentil, souriant, affectueux et tendre, tout ce que j’aurais pu espérer. Mais nous étions des amants secrets, incapables de se dévoiler à cause des réactions de nos parents ou de nos amis. On avait peur du regard des autres et nous ne pouvions pas être blâmés pour ça. Mais tout a basculé un soir où il est venu chez moi. Il est monté par la fenêtre, comme dans ces supers films romantiques à la con. Il a dit ne plus pouvoir supporter cette situation, et moi non plus. Nous nous sommes embrassés comme jamais. Et alors que nous étions sur le point de faire l’amour, papa est entré. Il nous as vu, il n’a jamais été aussi en colère que ce soir-là. Cette fois-ci, je l’admets, j’ai eu peur. Il a frappé Kaleb, il m’a frappé, il m’a insulté de tous les noms. J’étais la honte de la famille, une abomination, une sale pédale qui ne méritait pas de porter son nom. Je n’ai jamais eu aussi mal de toute ma vie. Deux jours plus tard, Kaleb avait disparu, ses parents avaient décidé de quitter El Paso, mon père leur avait une belle somme pour qu’ils s’en aillent et qu’on ne les revoit plus jamais. J’ai décidé de faire la même chose, juste sous son nez, au moment où il s’y attendait le moins. A mes 18 ans, j’ai quitté le cocon familial en pleine nuit. Depuis ce soir, mes parents et mon frère ne m’ont plus jamais revu. Plus jamais.

« Vous savez que les choses ne vont pas bien pour vous quand vous ne pouvez même pas raconter aux gens les faits les plus simples de votre vie, simplement parce qu'ils penseront que vous leur demandez de vous plaindre. Je suppose que c'est pour cette raison que nous finissons par nous éloigner des autres, tout ce que vous avez envie de leur raconter finit par les angoisser.  »
Vous descendez ?

Je n’ai jamais autant voyagé de ma vie. Le pays entier n’avait plus de secret pour moi. Je ne restais pas plus d’un mois dans la même ville et découvrait les joies du monde en solitaire. Bien sûr, avant mon départ, je me suis assuré d’emporter une certaine somme d’argent avec ma joie, ce n’était pas quelques billets qui allaient manquer à papa. Je crois qu’il n’a jamais cherché à me retrouver parce qu’il s’en tapait. La pédale avait disparu, et tant mieux. Alors j’ai vagabondé, discrètement, sans me faire remarquer, jusqu’à ce que je ne me retrouve à cours d’argent. Bloqué à Washington, je n’avais pas d’autre solution que de me trouver un boulot. Mais comment s’en trouver un ? Rien de plus facile. Un soir dans un bar, un homme un peu trop insistant à commencer à m’approcher, il a été très clair sur ses intentions. Pauvre homme marié, employé dans un bureau qui voulait satisfaire des envies homosexuelles refoulées. C’est là que j’ai eu un déclic. Autant tirer profit de cette situation. Après m’avoir utilisé toute une nuit comme son jouet, il m’a payé grassement. C’est là que j’ai compris que j’étais fais pour un monde sombre, trempé dans la débauche et le dégoût. Je me prostituais, et ça me réussissait plutôt bien. Les clients s’enchaînent d’une ville à l’autre, l’argent coule à flot… Que demander de plus ? J’ai pu continuer à voyager grâce à cette activité, et j’ai donc enrichi mon expérience personnelle. Je n’avais rien ni personne pour m’en empêcher, aucune attache. Le loup solitaire qui satisfait les envies des êtres humains inconsolables. Homme, femme jeune, vieux, tout y est passé. J’en ai toujours eu pour mon argent et imposait mes limites. J’ai du caractère, et ça m’a valu une certaine protection. Je n’ai jamais eu d’ennuis, et j’adorais cette domination. Tout était parfait, jusqu’à mon arrivée à New York. La grosse pomme était mon rêve depuis tout jeune, j’imaginais même aller faire un tour du côté de Broadway, peut-être pour tenter ma chance ? Mais comme à son habitude, je passais entre les mains perverses d’âmes perdues, encore et encore. Je suis resté dans cette ville plus longtemps que dans les précédentes, et mes talents ont commencé à être reconnus. Bien évidemment, je n’ai jamais donné mon nom, un pseudonyme différent dans chaque ville. Cette fois-ci, j’avais une chambre d’hôtel à Brooklyn, quelque chose de simple où je pouvais travailler sans risquer de me faire prendre en plein racolage. Les gens entendaient parler de moi et venaient frapper à ma porte. C’était l’année dernière. On a frappé, pour la énième fois depuis que j’étais à New York. L’homme est entré dans l’obscurité, m’a proposé une somme inestimable, et je n’ai pas pu refuser. Sauf qu’au moment de m’approcher, j’ai senti que quelque chose ne tournait pas rond. J’ai allumé la lumière, et c’est là que tout a basculé. Papa me regardait avec ses yeux ébahis, gêné, tétanisé, prit en flagrant délit. J’aurais pu pleurer de joie à l’idée de le revoir, me sentir mal à l’aise de savoir que j’aurais pu coucher avec mon propre père, mais au lieu de ça je lui ai ris au nez. Papa est aussi pédé que moi, et je me délecte de le savoir. Sauf qu’il est un Rainey, et on ne se laisse pas marcher sur les pieds. Il a fait venir les flics, ils ont voulu m’embarquer, et il était capable de suffisamment les influencer pour gâcher ma vie. Je me suis enfuis, tant bien que mal. J’ai réussi. Mais il fallait que j’aille quelque part, un endroit où personne ne pourrait me reconnaître, que mon visage dans les journaux soit inconnu de toute une ville… Après des mois à parcourir le pays, j’ai enfin trouvé. Blossom Hills. Cette ville hors du temps était mon meilleur point de chute. J’y suis entré, j’ai tenté l’expérience, et c’était parfait. Je me faufile comme une ombre, pas un regard trop insistant, c’est parfait. Voilà un mois que je suis ici, je m’accoutume à mon quotidien, et je ne pense pas partir de si tôt. Ma vie doit radicalement changer, parce que j'ai trop fauté, je me suis trop fais remarquer dans le passé... Ici, je suis sûr qu'on me foutra la paix. Maintenant, la question est : suis-je capable de faire autre chose de ma vie que de vendre mon corps ? J'aimerais pouvoir dire oui, et la seule dont je rêve m'est inaccessible. On enchaîne les petits boulots, on essaye de se trouver un coin pour pioncer... Dans un sens, je hais cette idée d'un quotidien banal et répétitif, mais de l'autre, j'aimerais bien souffler un peu... C'est hallucinant de dire ça à seulement 24 ans, hein ?