chapitre un : le silence.
ils avaient dit que ça irait. ils avaient dit que tout se passerait bien. ils avaient menti. cela ne devait être qu'une simple maladie, rien de plus. une méningite, c'est pas si grave que ça, si ? j'ai quatre ans. ils ont dit que j'étais trop petite pour comprendre. ils ont dit que ça ne devait pas se passer comme ça. ils disent. mais que disent-ils vraiment ? je l'ignore. je n'entends rien. je ne comprends rien. trop de choses que je ne maîtrise pas. je n'ai que quatre ans et personne ne veut m'expliquer ce qu'il se passe. je tourne la tête vers le petit corps recroquevillé sur une chaise. il est si calme, si silencieux. il dort. mon petit frère est fatigué et moi je veux comprendre. mes parents sont de dos. ils discutent avec les médecins. je veux comprendre mais je n'entends rien. ils parlent tellement bas. ils chuchotent. est-ce si grave que ça ? je veux comprendre mais personne ne semble enclin à m'expliquer ce qu'il se passe. « maman ? » le son de ma voix me parait si loin mais la principale concernée se retourne vers moi. j'ai l'impression que le temps s'est arrêté. tous les regards se fixent sur moi. camden ne bouge pas, il doit être épuisé le petit bout de chou. ma mère a l'air paniquée. mais qu'est-ce qu'il se passe bon sang, expliquez-moi à la fin. mon père reste silencieux, les médecins baissent les yeux. mes parents m'entourent et ma mère bouge les lèvres. merde, je n'entends pas ce qu'elle me dit. devant mon incompréhension, elle hausse le ton de la voix. c'est mieux, mais ce n'est pas encore ça. tout est si lointain, comme si j'étais coincée derrière une vitre en verre d'une épaisseur importante. et puis, ils m'ont parlé, ils m'ont expliqué. ils m'ont dit que tout se passerait bien. ils m'ont dit que ça allait aller. ils m'ont dit qu'ils feraient le nécessaire. et moi, je ne les ai pas cru.
chapitre deux : la famille.
six ans. cela fait six ans maintenant. les débuts ont été plus que difficiles. ce handicap ne m'a pas facilité la tâche. au début, mon petit frère ne comprenait pas. au début, on avait du mal à communiquer. au début, le silence régnait. et puis, avec le temps, on s'y habitue. on trouve des solutions, on s'accroche à ce que l'on peut et puis, finalement, on arrive à se relever, même si l'on doit tomber plusieurs fois avant de se tenir sur les deux jambes et relever la tête. réussir à lire sur les lèvres, ça prend du temps, énormément de temps, et puis de la concentration aussi, beaucoup de concentration. mais quand on y arrive, on se sent pousser des ailes, on se sent fort, voire même invincible. bon, bien sûr, ça demande un peu d'effort de la part des interlocuteurs puisqu'ils doivent se mettre face à moi pour que je puisse comprendre, mais à part ça, c'est une méthode efficace. après ça, les parents ont fait le nécessaire pour aménager la maison et faire en sorte que je puisse vivre des jours meilleurs. une lumière rouge quand le téléphone sonne. une lumière verte quand on sonne à la porte. une lumière bleue quand on veut rentrer dans ma chambre. une chambre insonorisée pour que je ne dérange personne avec le volume trop élevé de la musique. tout avait été fait pour que je vive mon enfance dans les meilleures conditions et ce malgré ma surdité. enfin, quand camden fut assez âgé, on s'y est tous mis en même temps. apprendre le langage des signes en famille, c'était drôle. et puis, ça nous unissait un peu plus chaque jours. cam' faisait tellement d'efforts pour suivre le rythme et rester au niveau. il apprenait vite mais voulait toujours en faire plus. quand je passais devant sa chambre le soir et que je le voyais, la tête plongée dans ses bouquins à essayer de reproduire les gestes qu'il ne maîtrisait pas encore parfaitement, je prenais le temps de l'observer. il m'arrivait de rester appuyée contre le chambranle de la porte pendant des minutes et des minutes. il y mettait tout son petit coeur et moi je rejoignais mon isoloir les yeux remplis de larmes. je fermais rarement la porte de ma chambre parce que ma chambre ressemblait par moment à une prison quand le coeur était trop lourd et que je pensais baisser les bras. et ces jours là, le petit bonhomme n'était pas loin et il venait s'asseoir sur mon lit, juste à côté de moi. Il me prenait la main, posait sa petite tête sur mon épaule et me disait : « moi, j'te laisserai jamais tomber scar'. » alors je fermais les yeux, retenais les perles salées qui s'accumulaient dans mes yeux fatigués et je serrais fort la main de mon petit ange parce que je savais qu'il ne mentait pas.
chapitre trois : la chute.
« quoi ?! non ! vous n'pouvez pas m'faire ça ! » non mais je rêve. je nage en plein délire. un délire que mes parents se sont créés, comme ça, sans rien dire à personne. j'ai vingt ans. Cela fait maintenant seize ans que je me bats pour me reconstruire, pour surmonter mon handicap. ici, j'ai tout acquis. boston, c'est chez moi. mes études, ce fut de la rigolade. bon, je l'avoue, il a bien fallut que je me rende à l'évidence et que je quitte l'école générale pour m'en trouver une spécialisée. cela dit, j'ai une vie ici, j'ai des amis, j'ai mon univers. ma vie est ici, à boston. Pas dans une ville complètement paumée, pas dans une ferme. il faudra que je recommence tout depuis le début, je n'aurais pas le choix puisque, visiblement, on laisse l'opportunité à camden de rester mais pas à moi. ah oui, j'oubliais. je suis sourde, pas lui. ici, les gens ne me jugent pas. ici, mon handicap ne parait pas. ici, je suis une fille ordinaire. a blossom hills, ce sera différent. j'ignore si j'aurais la force de tout reprendre depuis le début. mon père s'est fait virer et c'est tout ce qu'il a trouvé à faire. secouée par cette nouvelle peu commune, j'ai fui la maison pour aller retrouver l'une de mes amies proches. malgré toute l'amitié qu'elle pouvait avoir pour moi, elle m'a raisonné et m'a fait comprendre que ce n'était peut-être pas si insurmontable que cela. elle n'avait certainement pas tord mais je n'étais pas prête à affronter l'inconnu. finalement, je suis rentrée chez moi en fin d'après-midi pour leur annoncer que j'étais d'accord. une nouvelle vie s'offrait à nous. à moi de montrer au monde que je ne suis pas que la fille qui a perdu l'audition suite à une méningite. à moi de montrer au monde qui est scarlett collins. je relèverai le défi, peu importe le temps que ça prendra.
chapitre quatre : le renouveau.
cela fait maintenant un an que nous avons débarqué à blossom hills. pour mon plus grand bonheur, cam' nous a suivit. je ne suis pas certaine que j'aurais pu survivre sans lui. quitter Boston a été beaucoup plus difficile que ce que je ne le pensais. j'ai tout laissé derrière moi, il est temps maintenant de tout reconstruire. je ne compte plus le nombre de fois où j'ai dû expliquer ce qui m'est arrivé, répondre toujours aux mêmes questions, subir les regards remplis de pitié, les remarques déplacées qui font que les gens me prennent pour une débile profonde. je m'en suis toujours sortie jusqu'à présent, je ne vois pas pourquoi ça changerait. je me suis lancée dans des études de communication. intéressant n'est-ce pas ? j'ai trouvé la chose idéale pour faire un pieds de nez à tous ces gens qui me croient "handicapée". je suis une fille tout ce qu'il y a de plus ordinaire, avec une particularité que les autres n'ont pas à mon âge, c'est tout. et puis, parfois, on rencontre des gens qui changent la donne et qui me font croire que j'y arrive, petit à petit. je ne peux pas en dire autant de cette fille qui fait tourner la tête de mon frère. brooke. je ne la sens pas celle-là et, croyez-moi, je suis une fille qui observe beaucoup et qui se trompe rarement. je surveille ça de très près, sait-on jamais, je pourrais peut-être avoir besoin d'utiliser mes supers pouvoirs pour protéger mon petit frère. avec le temps, les blessures du déménagement s'effacent. le phœnix renait de ses cendres et moi je continue d'avancer quoi qu'il arrive. la dernière lubie de mes parents, ce sont les appareils auditifs. je ne supporte pas ces choses qui me torturent les oreilles. autant dire que moins je les porte, mieux je vais. il est rare que je pense à les mettre, le bruit me fait peur après toutes ces années passées dans le silence, même si je dois avouer que ces engins sont pratiques par moment. alors, le plus souvent, c'est pour leur faire plaisir que j'accepte de torturer mes oreilles. quoi qu'il en soit, ma nouvelle vie s'écrit petit à petit et je ne suis pas prête de poser le stylo qui contribue à raconter mon histoire.
chapitre cinq : l'incompréhension.
mon frère est parti, ce lâche. bon, d'accord, il s'est absenté pour trois mois, suivre un stage je ne sais plus trop où. mais il n'empêche qu'il est parti. il m'a laissé seule ici, dans ce trou pommé. d'accord, on s'y fait, mais bon, quand même. je m'en fiche, je l'appelle tous les jours. il doit en avoir marre mais je m'en moque totalement. et puis quoi encore, c'est mon petit frère quand même, pas n'importe qui. et puis, mes appels ce sont fait de plus en plus espacés. puis, de plus en plus rares. et, enfin, ce soir-là, je ne l'ai pas appelé. je n'étais pas seule. j'ai oublié. « je t'aime bien scarlett ... et tu sais, j'le dis pas à tout le monde. » un clin d'oeil, une légère bousculade de l'épaule et son regard s'échappe à nouveau dans le lointain. je rougis parce que ces mots-là me touchent. parce que je sais que la réputation de connard qu'il s'est construit est fondée. je sais qu'il ne ment pas quand il dit ne pas l'avouer à tout le monde. cela dit, je ne sais pas vraiment si je dois lui faire confiance à cent pourcent. trois mois que ce petit manège dure. deux mois qu'il me montre une autre facette de sa personnalité. deux mois que j'ai l'impression qu'il n'est pas si abruti que les gens le disent. avec le temps, les gens changent, ou du moins, c'est ce que je me dis. et, ce soir-là, avant que l'on se quitte, il m'a attrapé la main. il m'a attiré contre lui et ses yeux m'ont comme transpercés. il m'a embrassé et je n'ai rien compris. je m'y attendais sans vraiment m'y attendre. je ne savais pas si je devais tomber dans le panneau ou rester sur mes gardes. je doutais de tout. je doutais de rien. il a réussi à me retourner le cerveau et je ne l'ai même pas vu venir. après ce baiser, plus rien. ne pas lui envoyer de message, ne pas montrer son intérêt. quelques jours ont passés. c'est lui qui ne réagit pas. je dois m'occuper de camden. il est rentré, je dois me faire pardonner. il m'a déjà regardé de travers dès qu'il a franchi le seuil de la porte. ce n'est pas bon signe. il doit se douter de quelque chose mais je ne veux pas lui en parler. pas maintenant. c'est beaucoup trop tôt. et puis merde. je lui envoie un message. pas de réponse. je l'ai croisé un peu plus tard dans la journée. « ethan ? » il s'arrête net. il pensait sans doute que je le l'avais pas vu. dommage pour toi mon grand. « salut scar', ça va ? » wahou. deux étrangers n'auraient pas fait mieux. je jette un coup d'oeil autour de moi, c'est bon, je peux tenter un truc. je fais deux pas de plus pour arriver à sa hauteur et me penche légèrement vers lui. « c'est quoi ton problème ethan ?! » je préfère chuchoter. les murs ont des oreilles, c'est pour ça que je n'aime pas les petits villages comme blossom hills. ses yeux croisent les miens. il semble vouloir me dire quelque chose, mais je n'arrive pas à capter quoi que ce soit. ses yeux implorent mon pardon. je ne comprends pas. « scar ?! » camden me cherche. je fais volte face et tente de l'apercevoir. je vois sa touffe de cheveux dépasser pas très loin de là. il faut que j'y aille. ethan attrape ma main. « je t'appelle plus tard. j'te le promets. » et il s'éclipse comme si de rien n'était. je ne le comprends pas. c'est quoi son problème à la fin. il ne peut pas le dire, comme tout le monde ? non, bien évidemment, ce serait trop facile sinon. je lève les yeux au ciel et me retourne. et paf. un nez à nez avec le frangin. oups. « c'est quoi c'te tête ? t'as vu un fantôme ou quoi ? » camden regarde par dessus mon épaule mais ne vois rien qui le choque. « on peut dire ça comme ça oui ... » soufflais-je avant de secouer la tête et de passer mon bras autour de la taille de mon frère afin de l'entrainer loin d'ici. il se doute de quelque chose mais j'ignore de quoi. il me pose des questions bizarres mais c'est pas grave, je les évite. je sais une seule chose : je ne pourrais pas continuer bien longtemps à lui cacher ce qui s'est passé pendant son absence. et encore, ce serait tellement plus simple pour moi de savoir exactement où j'en suis, savoir exactement ce qui s'est passé. parce qu'au final, tout semble s'être envolé.