« Alors Jackson, parle-moi de ton grand frère. Tu es proche de lui ? Est-ce que vous vous entendez bien ? » « Pourquoi lui ? » Oui, pourquoi lui ? Il avait aussi deux petites sœurs, pourquoi ne pas parler d’elles ? Ca lui faisait bien moins mal de parler d’elles. Il aimait son frère, oui, mais malgré son amour, la jalousie qu’il ressentait pour lui lui serrait le cœur chaque fois qu’il en parlait. Alors pourquoi lui, pourquoi aujourd’hui ? A quoi ça servait, dans sa situation ? « Je veux juste apprendre à te connaître un peu plus, j’aimerais savoir quelle est ta place dans cette famille, tes liens, avec ton frère et tes sœurs. Je veux simplement te comprendre, Jackson. » Le comprendre ? Il faudrait bien plus qu’une discussion au sujet de son frère pour ça. Et puis, beaucoup de choses avaient changé depuis… ce jour-là. Peut-être que la jalousie envers son frère n’avait fait que s’accentuer, après ça. Peut-être qu’il était d’autant plus envieux de ses capacités, de ses jambes, en bonne santé, de ce don qu’il avait de toujours tout réussir alors que lui ne faisait qu’échouer. Oui, peut-être qu’il pouvait dire ça. Mais ce n’était pas dans sa nature, de parler. « Je m’entends très bien avec mon frère, il a toujours été là pour moi. Je n’ai jamais eu de problème avec lui. Tout se passe bien, il réussit bien sa vie, tant mieux pour lui. » Il avait dû remarquer le ton de jalousie qui avait traversé sa bouche lorsqu’il avait feint le bonheur de voir son frère réussir sa vie, puisqu’il avait aussitôt griffonné sur son papier, sans doute quelques mots pour dire que ça n’allait pas si bien que ça. « Et… Est-ce que tu trouves qu’il mérite sa réussite ? Est-ce que tu penses que tu le mériterais, toi aussi ? » C’était si direct comme questions qu’il stoppa un instant de respirer, choqué. Personne ne lui avait jamais posé la question, de savoir s’il pensait mériter autant de succès que son frère aîné. Il croisa les bras après sa pause et serra les dents. « Je ne vois pas pourquoi vous me posez ce genre de questions. Evidemment qu’il le mérite, de toute façon, ça a toujours été comme ça, il a toujours tout réussi, et a toujours tout fait pour. Oui, il le mérite. Et si je le mérite ? Franchement ? Si je vous parle aujourd’hui, vous pensez sincèrement que je le mérite ? Non. Je ne suis pas comme lui. Et je ne le serai jamais. » Il avait prononcé sa dernière phrase dans un rire, parce que ça paraissait si stupide d’imaginer se comparer à lui, son grand frère, celui qui avait tout raflé, qui avait tout réussi sans même échouer une seule fois. Il avait tout eu du premier coup, et lui… Lui, il avait tout raté du premier coup. Il griffonna encore sur son papier et Jackson serra les poings, retenant cette envie qu’il avait depuis le début de cette séance de lui arracher son papier et le réduire en miettes. « Est-ce que tu voudrais être comme lui, Jackson ? Est-ce que tu penses que ce serait mieux ? » Il sourit, nerveusement, et tourna la tête, tapant du pied comme un enfant retenant ses larmes. Oui, bien sûr qu’il voudrait être comme lui, et bien sûr, que ce serait mieux. A vrai dire, il avait toujours pensé que disparaître serait une bien meilleure solution. Il aurait préféré mourir, ce jour-là. Il ne répondit rien, mais le psychiatre qui le suivait désormais depuis plusieurs mois remplit une nouvelle fois sa feuille. Il n’avait pas parlé tous ces mois auparavant et pourtant, du papier, il en avait épuisé. « Bien… Maintenant, dis-moi… Qu’est-ce que tu penses de toi, aujourd’hui, à ce moment précis ? » Jackson jeta un regard froid au docteur, les bras fermement refermés sur son torse, la mâchoire serrée. Un sourire crispa ses lèvres, sans joie, sans émotion. « Je pense que j’ai très envie de partir. Que j’ai une famille extraordinaire, qui me soutient lorsque tout va mal, comme en ce moment. Je pense que je ne suis simplement rien, sans ma famille. Sans mon frère, sans mes sœurs. C’est tout ce que je pense de moi. » Le médecin fit une moue insatisfaite, malgré le sourire qui se dessina ensuite sur ses lèvres, puis hocha la tête, griffonna deux-trois mots sur son carnet, le referma, puis se leva, mettant ainsi fin à la séance. Encore une somme monstre dépensée pour pas grand-chose. Il ne comprenait pas pourquoi il devait poursuivre ces séances, ça ne servait à rien. Mais sa famille disait qu’il le devait, alors, il le faisait. Comme toujours…
Part Two : Dreams are just dreams
« Dis-moi Jackson, après ce qui est arrivé, est-ce qu’il y a quelque chose que tu aimerais changer, quelque chose qui te dérangeait avant que tout ça n’arrive ? » Des choses à changer ? Il y en avait des tas, mais il ne le dirait jamais, il ne l’avouerait jamais à personne et surtout pas à lui-même. Toujours aussi hostile, il soupira, lassé de ces questions qui, pour lui, ne menaient à rien. « Tout le monde a quelque chose à changer dans sa vie, quelque chose qui dérange. Dans la vie, on ne fait pas toujours ce qu’on veut. C’est comme ça, et on s’y fait à la longue. » Ce n’était pas ce qu’il avait voulu dire. Il aurait voulu sourire, et répondre que non, il n’y avait rien à changer, tout était parfait, avant, mais la vérité lui avait sauté à la gorge et l’avait empêché de mentir. Et évidemment, le médecin fut trop rapide pour qu’il puisse retirer ses dires. « Qu’est-ce qui ne s’est pas passé comme tu voulais ? Qu’est-ce qui te dérangeait, déjà avant ? » Jackson se pinça les lèvres comme pour s’empêcher de répondre. Des flashs traversaient son esprit, sans vraiment de sens, montrant tout ce qu’il avait enduré ces derniers mois, mais aussi avant ça. La façon dont sa famille l’avait convaincu de poser son appareil photo, de l’enterrer au fond d’une boîte et dans un placard, et de venir aider à la boutique. Ca lui serrait le cœur encore aujourd’hui. Il avait renoncé à son rêve, pour sa famille. Et aujourd’hui, il ne pouvait pas revenir en arrière, c’était certain, en particulier dans son état. Son meilleur ami partageait son rêve, autrefois. Lui non plus ne pourrait plus le vivre. Il s’éclaircit la gorge alors qu’il sentait les larmes monter, puis releva la tête et fixa d’un air presque fier son docteur. « Le manque de liberté, je crois. Mais finalement, par rapport à aujourd’hui, j’étais plutôt libre, pas vrai ? » Il lâcha un rire sans saveur auquel son psy ne répondit pas, se contentant de noter le ton ironique employé. « Que penses-tu faire aujourd’hui ? » Là encore, il tiqua. La vie lui paraissait si différente à présent. Tout avait changé, à jamais, il n’y avait plus de retour possible, plus aucun. Il serra les poings en sentant une nouvelle fois les larmes lui monter aux yeux. Il essayait de ne pas craquer, il faisait de son mieux. « Guérir, ce serait déjà bien. Puis… Reprendre la vie comme elle était, tenir la boutique de ma mère… Arrêter toutes ces conneries. » « Et ça te conviendrait, cette vie ? Ne regretterais-tu pas ? » Cette fois, c’en était beaucoup trop, il se mordit la lèvre avant d’aboyer, en rage après ce qu’il avait vécu, après son traumatisme. « Evidemment que je vais regretter !! Vous savez le nombre de fois que j’y pense, depuis ce jour-là ?! Vous savez le nombre de fois que je regrette ?! Je voudrais revenir en arrière, tout faire pour éviter ça, j’aimerais que ça ne soit jamais arrivé, qu’on puisse vivre comme avant ! Ca ne me conviendra jamais, cette vie !! Mais est-ce que j’ai le choix ?! Je vais passer toute ma vie à regretter ! » Il avait craqué, et les larmes avaient coulé. Après quelques instants de silence, il décida de sortir, mettre un terme à cette séance, bien trop éprouvante à son goût.
Part Three : I fall into pieces
« A présent, je voudrais qu’on parle un peu de l’accident. De quoi tu te souviens ? » L’accident. Des mois que c’était arrivé, des mois qu’il venait ici, et c’était la première fois que son psychiatre lui posait directement la question. Ce qu’il se souvenait ? Des flashs lui revenaient en mémoire, atroces. Il ferma les yeux, et prit une grande inspiration, sachant pertinemment qu’il devrait parler, sans quoi son médecin ne le laisserait pas tranquille. Après un long soupire, il rouvrit les yeux pour fixer le vide. « On était dans la voiture avec Leo… On revenait d’une soirée, on avait un peu bu, mais sans plus, ça allait. On était encore bien conscients, et on rigolait. Je sais même plus de quoi. Tout allait parfaitement bien puis… » Sa gorge se serrait soudain. Puis, tout avait dérapé. Un seul instant et leur vie avait basculé. Il déglutit, se rappelant si bien tout ce qui avait suivi. Ca le hantait depuis. « On était sur une route dangereuse, où les gens ne roulent généralement pas très vite, parce que les virages, à pleine vitesse, peuvent vous faire basculer de l’autre côté… » Il esquissa un sourire blessé, prenant conscience de la faute qu’ils avaient commise, puis releva les yeux sur son psychiatre. « On roulait plus vite que la normale. C’était Leo qui conduisait… On a vu un truc sur la route, qui nous a surpris… Il a donné un coup de volant, et… » Il serrait les poings pour ne pas exploser. Il se souvenait de la chute, et des cris de panique qu’ils avaient poussés, il se souvenait du bruit que le métal avait fait en rencontrant si violemment le sol, de la sensation d’être balloté de tous les côtés, de celle d’étouffer, trop serré par la ceinture de sécurité. « Et vous avez basculé de l’autre côté… Qu’est-ce qui est arrivé, après ça ? » C’était le plus difficile à exprimer, l’après. Il avait mal en y pensant. Il y eut quelques instants de silence que le psychiatre ne manqua pas de noter, puis Jackson reprit finalement la parole, non sans émotion. « Après… Je me suis réveillé coincé sous la voiture. Je ne pouvais plus bouger, j’avais mal, mais mes jambes ne bougeaient plus… J’ai paniqué, j’ai hurlé… et j’ai commencé à chercher Leo… » Au moment d’évoquer ce qu’il avait vu, sa gorge se resserra, et ses yeux s’embrumèrent. Il reprit néanmoins, tant bien que mal, avec la soudaine envie d’en parler, pour la première fois depuis. « Il avait traversé le pare-brise… Cet idiot n’avait même pas attaché sa ceinture… et il a traversé le pare-brise… » Il lâcha un rire devant cette absurdité, les larmes coulant sur ses joues sans qu’il ne les retienne. « Il y avait du sang sur les bouts de verre en face de moi… j’ai tourné la tête, et il était étendu à quelques mètres de la voiture… Il ne bougeait pas. Il y avait du sang… J’ai hurlé, pour qu’il me réponde, mais rien… J’ai essayé de me dégager, mais je ne pouvais pas… J’ai hurlé… et puis, les secours sont arrivés… » Les secours étaient arrivés trop tard, et il serra ses poings en y pensant, plaquant ensuite sa main contre sa joue pour sécher les larmes qui avaient coulé. « Leo était déjà mort. Il est pratiquement mort sur le coup… Et moi… mes jambes n’ont pas bougé depuis. Je suis coincé dans ce fauteuil. » « Et as-tu assisté à son enterrement ? » Il savait déjà la réponse, mais il posait malgré tout la question, comme pour remuer le couteau dans la plaie. « Non. » « Pourquoi ? » Jackson croisa les bras et serra la mâchoire, perturbé par la question. « Parce que… Je n’avais pas envie de voir son nom gravé sur une tombe, comme toutes les autres, et voir sa vie résumée en un tiret, entre sa date de naissance et sa date de mort, avec cette phrase banale et presque hypocrite en-dessous qui dit qu’il était un fils, un frère et un ami bien aimé. » La vérité, c’était que sa mort avait été trop à supporter, beaucoup trop pour lui, qui se sentait si coupable de ne pas l’avoir retenu de prendre le volant. A cause de ça, il était mort. L’enterrement, ça avait été comme de reconnaître sa mort et ça, il n’avait pas pu. Il était son meilleur ami, et il était mort. « Lui as-tu rendu visite depuis ? » Jackson releva des yeux froids sur son médecin, signe que non, il n’avait jamais mis les pieds dans le cimetière où Leo avait été enterré. C’était bien trop dur. Après quelques minutes de silence, il se passa la main sur le visage en soupirant, expulsant tout ce qu’il ressentait. « J’ai voulu. Plusieurs fois. Mais je n’y arrive pas. J’aimerais juste revenir en arrière, que tout ça ne soit jamais arrivé. Il était mon meilleur ami. Il me comprenait, et m’aidait… On partageait le même rêve. Et maintenant… Tout est devenu plat, sans couleur… J’aurais voulu mourir à sa place… » Il y pensait souvent, à tout ça, à ce que ça aurait changé s’il avait été celui qui n’avait pas survécu. Et plus il y pensait, plus il se disait que cet accident avait été un gâchis immense. Il n’y avait plus moyen de faire marche arrière. Les cauchemars le hantaient continuellement, et à chaque réveil, il se rendait compte que le cauchemar était devenu la réalité. Vivre sans Leo, après cet accident, c’était un cauchemar.
Part Four : How to keep going
« Ah bonjour, Jackson ! Content de te voir sur tes deux pieds ! » Jackson entrait dans la pièce, pour la première fois debout, appuyé malgré tout sur une canne, dont il se servait pour avancer. Beaucoup de choses avaient changé depuis sa dernière visite. Et aujourd’hui, c’était avec le sourire qu’il serra la main de son psychiatre. Un premier sourire qui n’échappa pas à l’œil professionnel du médecin. « Tu as l’air d’aller beaucoup mieux aujourd’hui ! Raconte-moi, que s’est-il passé depuis la dernière fois ? » Il s’assit finalement sur le fauteuil qui lui était destiné, posa sa canne, soupira, légèrement fatigué par la marche, et reprit son sourire. « Eh bien… Après plusieurs mois de rééducation, j’ai enfin pu me débarrasser de mon fauteuil roulant. J’ai réappris à marcher, en somme. Ca a été très long, et surtout très douloureux, mais ma famille a été là pour m’aider. Comme ça a toujours été le cas. » Aujourd’hui, il venait sur une note plus positive. Il était très reconnaissant à sa famille d’avoir été si présente pour lui. Quand ce n’était pas l’un de ses sœurs qui l’aidait à tenir debout, c’était son frère qui s’en chargeait, puis ses parents, sa cousine, son oncle, sa tante… Ils avaient tous été là, sans la moindre hésitation. Il avait eu de la chance, d’avoir une famille si unit autour de lui. Jamais il n’oublierait tout ce qu’il leur devait. « Bien… C’est une très bonne chose ! Et où en es-tu désormais, dans la vie ? Que comptes-tu faire à partir de maintenant ? Voyager ? Voir le monde qui t’entoure ? Reprendre la photo ? Trouver l’amour ? » A toutes ses questions, Jackson répondit d’un éclat de rire. Au fond, il aurait peut-être voulu faire tout ça, mais il n’y avait pas vraiment pensé. Sa famille ne l’avait pas laissé penser à tout ça, mais il ne s’en rendait même pas compte. « Non, rien de tout ça. Je vais reprendre la boutique de mes parents, comme prévu. Au final, je serai certainement plus heureux comme ça. Ils comptent sur moi, et je ne peux pas les laisser tomber. » Il avait l’air heureux, c’est vrai, il souriait, il paraissait épanoui, et pourtant, quelque chose clochait. Quelque chose ne paraissait pas sincère, même s’il y mettait tout son cœur. Soudain, son sourire s’évanouit légèrement. Le psychiatre, quant à lui, sembla presque déçu de sa décision. « Et cette vie-là te conviendra ? » Jackson hocha la tête, sans se poser de question, sans avancer une réponse plus aboutie qu’un simple ‘oui’. Ca lui conviendrait, puisque c’était ce que sa famille avait besoin qu’il fasse. « Très bien… Parle-moi de Leo, à présent… Est-ce que tu es finalement allé le voir au cimetière ? » Il y eut un bref moment de silence après l’évocation de ce passage douloureux. Leo, c’était un sujet encore tabou, même s’il avait bien avancé sur ce point-là également. Cependant, il reprit son sourire et hocha la tête, plutôt fier. « Oui, et j’y vais régulièrement, maintenant. J’ai encore du mal à me faire à l’idée qu’il ne sera plus jamais là… Mais j’ai compris qu’il fallait que j’avance… Je pense avoir fait le deuil, même si c’est encore un peu difficile d’en parler. » A cette annonce, le médecin se mit à sourire, apparemment fier lui aussi de son patient. Il en avait fait du chemin, depuis la dernière fois. Certes, il retournait à sa vie de fleuriste, simple, sans grande ambition, mais il avait retrouvé l’usage de ses jambes, et visitait la tombe de son meilleur ami chaque semaine depuis quelques mois. Il en avait besoin, de voir son nom gravé sur la pierre. Il avait besoin de parler avec lui, même s’il était conscient de parler tout seul. C’était un moyen d’atténuer sa culpabilité, et garder Leo vivant, dans un sens.
Part Five : How to break a heart
« Jackson ? Ca faisait longtemps que je ne t’avais pas vu ! Assis-toi. » Le jeune homme s’exécuta, un peu agité, stressé. Des années qu’il n’était pas entré dans cette pièce. Quelques détails avaient changé, certaines décorations avaient disparu pour laisser à la place à de nouvelles, le psychiatre avait un peu vieilli, et s’était légèrement laissé pousser la barbe, un peu comme lui, même si dans son cas, ça s’apparentait plus à du non-rasage plutôt qu’à un fait exprès. Ce fauteuil, toujours le même, il avait l’impression de revenir plus de six ans en arrière. Enormément de choses s’étaient produites, et aujourd’hui, s’il était ici, c’était pour parler d’une chose qu’il ne pouvait partager avec sa famille. « Alors, dis-moi, qu’est-ce qui t’amène ici ? Qu’est-ce que tu as fait, depuis tout ce temps ? » « J’ai rencontré quelqu’un. » Il avait parlé précipitamment, dans le besoin presque vital d’en parler à quelqu’un. Il avait rencontré une femme oui, merveilleuse. « C’est très bien ! Raconte-moi un peu… Comment vous êtes-vous rencontrés ? » « Elle était de passage ici, elle s’était simplement arrêté à la boutique pour regarder les fleurs et en acheter pour rendre sa chambre d’hôtel plus vivante, comme elle disait. » Il se souvenait encore de son air perdu et de son sourire gêné, les joues un peu rosies par le froid. Ils s’était rencontrés à l’automne, et l’hiver suivant, ils se tenaient déjà la main dans la rue. « Elle était là pour se ressourcer, après une année très difficile. Elle était ici pour cinq mois, le temps de faire une pause et faire le point sur sa vie. » Le psychiatre notait, comme autrefois, chaque nouvelle information, avant de reprendre la parole pour poser une nouvelle question, et comprendre ce qui amenait son ancien patient par ici. « Tu parles au passé… Elle est repartie, aujourd’hui ? » « Oui. » Cette constatation lui faisait mal. Elle était repartie, ça faisait un moment déjà. Elle lui manquait terriblement, et elle n’en avait aucune idée. « Et… Vous avez gardé contact ? Est-ce que c’est une relation à longue distance ? » Jackson baissa les yeux, coupable, avant de secouer la tête à la négative. « Ca l’était, au début… Mais plus maintenant. » La triste vérité était là. Elle était repartie, ils avaient décidé de rester ensemble, malgré la distance. Puis elle lui avait demandé de choisir, et il l’avait perdue. « Que s’est-il passé ? » Il serra les dents un instant, bouleversé par cette histoire. « Elle voulait que je la rejoigne, mais ma famille n’était pas d’accord. Ils ne l’ont jamais vraiment appréciée, je ne sais pas vraiment pourquoi… Elle m’a demandé de choisir entre… ma famille et elle… » Il s’arrêta là, se remémorant les nombreuses disputes, jusqu’à en arriver à cette fois où elle lui avait clairement posé l’ultimatum. Sa famille ou elle. « J’ai choisi ma famille. » Il se souvenait de l’avoir entendu pleurer, de lui avoir brisé le cœur, au téléphone. Il n’avait pas même pu la voir pour le lui dire en face. Il lui avait fait part de son choix, elle s’était effondrée, puis avait simplement raccroché, sans un mot de plus. Cette conversation lui avait laissé un goût amer, qui le poursuivait encore aujourd’hui. Il l’avait perde. Définitivement. Et il avait été incapable de la récupérer. « Pourquoi ? » Cette question, il l’attendait. Ava n’avait même pas posé la question. « C’est ma famille. Ils ont toujours été là pour moi, ils ne m’ont jamais abandonné, et ils ont besoin de moi. Je ne peux pas les laisser tomber. » Le médecin s’empressa de noter sa réponse sur son papier, agrémentant très certainement de commentaires sur sa façon de répondre et son ton, puis releva la tête. « Et toi, qu’est-ce que ça t’apporte ? Tu dis qu’ils ont besoin de toi, tu parles de responsabilités, mais toi, de quoi as-tu envie ? » Jackson releva les yeux pour fixer son psychiatre, surpris de sa question. On ne la lui avait jamais posée, pas une seule fois. Ce qu’il avait envie ? Il l’enfouissait au plus profond de lui-même pour éviter d’y penser, et de se rendre compte qu’il avait gâché une grande partie de sa vie. « Je… J’ai fait le bon choix. C’était ce qu’il fallait faire. La famille est toujours plus importante, non ? » « A toi de me le dire. Tu as peut-être fait ce qu’il fallait, mais est-ce que c’était ce que tu voulais ? » Le médecin esquissa un sourire, et Jackson fut totalement perdu. Sa famille l’avait toujours entouré, l’avait toujours aidé, l’avait toujours guidé. Comment pouvait-il aujourd’hui remettre en question toute l’importance qu’elle avait pour lui ?