D’ordinaire chaque personnage voit son histoire débuter par sa naissance. Ce n’a pas été mon cas. Il y a bientôt 24 ans, mon frère Keith est tombé malade. A l’époque, les médecins ne voyaient qu’une seule solution : un don de moelle. Mon autre frère Ethan, et ma sœur Kayla n’étaient pas compatible. Alors, de façon plutôt discrète le corps médical suggéra une autre solution. Un bébé-médicament. Désespérés, mes parents ont immédiatement accepté. Les médecins ont alors inséminé ma mère après avoir vérifié que mes gènes étaient de bon augure pour Keith. C’est ainsi que mon histoire débute. Mon but premier dans la vie était celui-ci, soigner mon frère. Etre toujours là pour lui au cas où il rechuterait. Comme si le fait que je sois un être humain n’importait pas vraiment au final. Comme si me laisser le choix n’était pas quelque chose d’admissible. Kathleen, la moelle osseuse vivante.
Pour autant, je n’ai pas vécu une enfance horrifiante. Une fois le don de moelle passé, mes parents ont parus m’accepter. Bien sûr, Keith demeurait la priorité. Il avait été malade, il avait la majeure partie de l’attention. Les nourrices pouvaient bien s’occuper de moi après tout. Oui, nous avions toujours quelqu’un de présent à la maison pour s’occuper de nous. Issus d’une famille où l’argent ne pose presque jamais problème, nous avons tous passé beaucoup de temps avec nos nourrices. Ma mère pensant que s’arrêter de travailler était un aveux de faiblesse de la part des femmes, elle n’avait même jamais pris un jour de congé lorsque nous étions malade.
Rapidement habitué à ce que nos parents voyagent à travers le monde pour leurs boulots respectifs, nous sommes devenus une véritable équipe. Les plus grands prenant les rennes, je suivais sans contester bien heureuse de ne pas être seule. En grandissant, leurs caractères se firent plus écrasants encore. Je devais suivre, point. N’aimant pas les conflits, et ayant peur que mes frères et sœurs ne me laissent de côté, je suivais toujours. Après tout, il n’y avait pas de raison pour prendre une direction différente. L’école se passa plutôt bien. Dans la moyenne, j’aimais tout sans n’être passionnée de rien. Ma véritable passion se trouvant dans les dressings de ma sœur et ma mère. Les vêtements, la mode, le design de toutes ces pièces. Cela me donnait envie de sourire et de tout essayer. Je n’étais pleinement heureuse que lors de ces moments solitaires où je m’amusais à associer divers vêtements pour trouver ce qui était vraiment beau, ou marrant à porter. Mes copines de l’époque aimaient également ce genre de jeux, mais rapidement cela devint bien plus pour moi.
C’est arrivant au lycée que les choses se compliquèrent. Ma passion pour la mode prit le dessus dès lors que j’eus ma propre carte de crédit. Contrairement à ma mère et à ma sœur, les grandes marques n’étaient pas mon domaine de prédilection. Les friperies, les magasins vintages étaient plus mon monde. Cela me donnait la liberté nécessaire à mon imagination débordante. L’uniforme obligatoire de l’école m’étouffa bien vite, aussi, je décidais de le customiser en restant dans les règles établies. Ce pan de ma personnalité ne plut pas à mes camarades. Ils virent peut-être une faiblesse en mon excentricité, ou furent peut-être tout simplement effrayés par ma différence. En tous cas, ils décidèrent de m’exclure. J’avais eu peur de l’exclusion durant mes plus jeunes années et voilà que c’était arrivé. Peu de mes camarades m’adressaient la parole, les autres se contentaient de me regarder de travers, de m’ignorer ou de se moquer de moi. Je ne cessais pas de faire les choses à ma façon pour autant. Je ne pouvais cesser d’être moi. Alors j’acceptais les choses, je n’avais pas bien le choix. Les choses devinrent plus difficiles avec le temps. Bien que tous issus de familles plus aisées les unes que les autres, certains de mes camarades décidèrent de me raquetter. Mon déjeuner, mon argent de poche, puis mes devoirs maisons. Tout cela me fit perdre goût à l’école. Je faisais le minimum vital pour passer à la classe supérieure, et m’isolait au club de stylisme la majeure partie du temps. Mon travail y était bon, mais je refusais de l’exposer ce qui frustrait ma professeure. Dégoûtée par le lycée, j’avais essayé à plusieurs reprises de demander à mes parents d’avoir cours à la maison. Ils avaient refusés, estimant que mon niveau n’était pas suffisant et que j’avais « besoin » de cette école pour m’améliorer. Bien sûr, j’avais faillis leur avouer toute la vérité, mais ils ne m’avaient pas laissé faire. Le téléphone de mon père avait sonné et ma mère avait quitté la pièce en marmonnant que j’étais fainéante et qu’elle ne comprenait pas comment j’avais pu tourner comme ça.
Oui, j’étais devenue le mouton noir de la famille. Ethan était en école de commerce et survolait ses études tant il était brillant, Kayla parlait trois langues couramment et suivait un double cursus en droit international et économique. Quant à Keith, il était étudiant en médecine et prenait à cœur de soigner les enfants comme lui avait été soigné dans sa jeunesse. Face à tout cela il était difficile d’être un enfant apprécié lorsque l’on était tout juste moyen. J’aurais peut-être pu être meilleure si le lycée n’avait pas été un enfer. Je ne voulais même pas y aller. Alors étudier m’était insupportable. Je passais la majeure partie de mon temps à modifier des vêtements à créer des choses que personne ne voyait comme je ne sortais presque pas de ma chambre, et n’osait même pas porter le quart de ce que je créais. Le temps passant mes parents se firent encore plus incisif sur le fait que je n’étais pas assez bonne. Ils ne comprenaient pas comment je ne pouvais pas être aussi douée que les autres, et pensaient que mon cours de stylisme n’était qu’une distraction. Ils manquèrent de me déshériter lorsque je leur avouais que je souhaitais étudier ce domaine au moment où l’université fut abordée. Ils pensaient à l’Ivy league comme pour mes frères et sœurs qui avaient quitté la ville pour ces prestigieuses universités. Leur réponse fut catégorique, jusqu’au moment où ma fratrie vint à ma rescousse. Finalement, après plusieurs heures d’un débat houleux ils parvinrent à faire accepter à nos géniteurs de me laisser tenter ma chance. Ils avaient vus de quoi j’étais capable. Ils étaient les seuls à savoir que j’étais douée dans mon domaine. Alors ils m’avaient défendus, moi qui pensait qu’ils ne me trouvaient pas intéressante pour un sou, j’avais été agréablement surprise de voir qu’ils me comptaient comme faisant partie d’un tout.
Nos relations s’améliorèrent à partir de ce moment-là. Quittant le lycée, je redevins plus joyeuse, drôle comme je l’avais été auparavant. Pendant mes premiers mois à l’université, je rencontrais mon premier flirt, Adrian, il était d’origine Russe et un parfait gentleman, rapidement nous entamions une relation. Chaque fois il me rassurait, et cela m’était nécessaire, car avec tout ce que j’avais subis au lycée je n’avais pas goûté au stress impliqué par les relations romantiques. Toutefois, il dû quitter le pays et nous décidâmes de ne pas nous entraver et de vivre nos vies tout en conservant ce souvenir. En stylisme, tout le monde était dans le même mode de pensée que moi. Je n’étais plus excentrique, j’étais normale, créative, inventive, tout simplement faite pour ce milieu. Libérée de mes oppresseurs mes résultats se firent immédiatement plus brillants. Je devins rapidement la meilleure, et je fus fière de rapporter mon bulletin de note avec le classement dès le premier semestre. La réaction de mes parents ne fut pas celle que j’attendais. Ma mère se contenta de hocher les épaules, et mon père me dit qu’il augmenterait mon argent de poche avant de sourire deux secondes et de s’en aller pour sa partie de tennis. Déçue, je compris que je ne pouvais plus rien y faire. Ils ne me pensaient pas aussi brillante que les autres, ils ne m’estimeraient jamais autant que mes frères et sœurs qui avaient choisis des domaines si prestigieux. Le temps passa, et je faisais de mon mieux brillant tant que je pouvais dans mes divers cours, n’hésitant pas à en ajouter tant j’étais curieuse de tout depuis que j’avais trouvé ma voie.
Aimant tellement ce que je faisais, le temps se mit à s’écouler plus rapidement. Les semestres ressemblaient presque à des mois tant la charge de travail était dense. En plus de devoir être créatif, d’assister à des cours sur l’histoire de la mode, la façon de la créer, etc, nous devions nous associer à divers projets. Chaque fois, j’étais persuadée que l’étape suivante rendrait mes parents fiers, que ce serait assez. Mais ce n’était jamais le cas, un jour, je faillis presque baisser les bras. Puis, je rencontrais Jaqueline, une femme tenant une boutique de vêtements en ville, un peu par hasard. J’avais dans les bras quelques-unes de mes pièces que je voulais apporter au pressing avant de les présenter pour un cours et elle m’interpella en remarquant l’assemblage du cuir et du daim sur plusieurs de mes créations. Après avoir longtemps bégayé, j’avais fini par réussi à lui expliquer que j’étais certaine que ce serait la tendance cet hivers et qu’en trouvant le bon dosage cela pouvait être parfait. Elle avait semblé suspicieuse, et m’avait proposé un stage dans son atelier en ville, m’assurant que cela m’aiderait.
A présent, cela fait 6 mois que je travaille chez Jaqueline. J’avais raison, l’association du daim et du cuir avait été à la mode l’hiver dernier. Cela m’avait valu une promotion, j’avais un poste. Conseillère en achats. Longtemps je m’étais interrogée quant à savoir si c’était un métier qui existait vraiment. Puis, j’avais pris confiance en moi dans mon travail et j’avais décidé que ce n’était pas important. Ce qui comptait, c’était que j’aimais mon boulot et que cela me rendait meilleure encore en cours. De plus, j’avais à présent une petite indépendance financière et j’aimais cela. Chaque jour, j’allais en cours, puis j’allais travailler. Ce n’était pas facile de tout cumuler, mais c’était plaisant de se sentir utile. L’avis de mes parents ne semblait plus si important. A 15 heures, je finissais le boulot, et je regagnais l’université afin de récupérer ma voiture n’aimant pas circuler en ville avec la voiture offerte par mes géniteurs qui avaient eus la brillante idée de me faire cadeau d’un bolide coûtant probablement une année d’un salaire convenable. Cela m’avait donné une routine, je passais d’abord devant un café, depuis duquel il émanait une odeur amer mais attirante, puis devant une école maternelle. Et enfin, un peu plus loin, il y avait une animalerie. J’adorais passer devant, c’était mon moment préféré de la journée. Les animaux m’avaient toujours attirés. Enfant, nous avions eu un chien, Doug, j’avais pleuré toutes les larmes de mon corps lorsqu’il était mort. Constatant que nous étions tous attachés au chien ma mère a refusé que l’on prenne un autre animal. Depuis, observer les animaux était mon seul contact avec eux.
Néanmoins, mon amour pour les animaux n’était pas la raison qui faisait de ce moment mon moment favori. C’était le vendeur qui rendait le tout parfait. Blond, avec un regard à la fois doux et tendre lorsqu’il regardait les animaux. Je l’aimais beaucoup. Cela m’avait surprise, il était à des années lumières des deux seuls mecs que j’avais fréquentés. Tous deux bruns, et guindés il y avait toujours eu quelque chose qui avait semblé leur manquer. Et cet homme, dans l’animalerie c’était comme si il avait cette chose leur manquant, qui faisait qu’il me plaisait vraiment. Mais je n’osais pas. Je n’étais pas comme ma sœur, Kayla, elle lorsqu’un homme lui plaisait elle fonçait et tentait tout. Moi, je n’étais pas eu mesure d’aligner plus de deux mots sans bégayer lorsqu’un type mignon m’abordait. Alors entrer pour lui parler était au-dessus de mes forces.
C’est pourquoi je fus plus que surprise lorsqu’il sortit de la boutique il y a quelques jours. Le pire ? Il m’avait parlé en plus. Et avait eu les nerfs de me proposer de sortir. Trop choquée, je n’avais su répondre autre chose que des trucs incompréhensibles où j’expliquais que je devais rentrer, et que j’étais désolée. Je m’étais sentie tellement idiote, à rougir et à être si impressionnée que je n’avais pas osé repasser devant depuis. Pourtant, je ne pouvais m’empêcher de repenser à notre brève entrevue, trop timide et peu assurée pour parvenir à aller m’excuser quant à mon comportement. Chaque matin, je me promets d’ouvrir la porte de l’animalerie pour aller réparer ça. Et peut-être qu’un jour je cesserais de me dégonfler.