« C’est toujours pareil avec toi, comme pour le bac à sable ! C’est facile de tout me foutre sur le dos Jae, t’es gavant ! » Claquement de porte, bruits de pas dans l’escalier, deuxième claquement de porte. Iris était rentrée, laissant son meilleur ami seul devant chez eux. La mâchoire serrée, elle s’était allongée sur le lit avec son PC sur la couette, et envoyait déjà tout un tas de messages instantanés à ses copines pour leur dire combien Jaeson Evans était le mec le plus con de l’univers. Ils avaient une dizaine d’années, mais cette histoire ne la lâchait pas, elle ressortait tout le temps, et ce depuis leur quatre ans. Apparemment, elle lui aurait jeté du sable dans le parc, ils se seraient tous les deux fâchés avant de ne plus jamais se quitter. Il était évident que si elle lui avait réellement jeté du sable délibérément, il devait l’avoir cherchée. Il aimait trop la provoquer de toute façon, comme s’il voulait tester ses limites. Mec, les limites étaient atteintes depuis bien longtemps, il la rendait folle. Quelques minutes plus tard, le bruit d’MSN sonna à nouveau. « JJ » Levant les yeux au Ciel, Iris s’approcha de l’écran. « Tu fais quoi ? » Il revenait, comme si rien ne s’était passé. Hochant la tête de gauche à droite, un petit sourire se dessina au coin de ses lèvres tandis qu'elle tapait déjà à toute vitesse sur les touches du clavier. « Je te maudis pour des siècles et des siècles. Amen. Et toi ? » Et c’était passé, la tornade s’était essoufflée… jusqu’à la prochaine fois.
Un AVC. Voilà la conclusion de l’autopsie du corps de Gabriella Harden. Les médecins leur avaient dit qu’il était rare pour des gens si « jeunes » de succomber à ce genre d’accident, mais que ça arrivait et qu’ils étaient désolés. Leurs sincères condoléances, avec ça, ils allaient clairement combler le vide qu’elle venait de laisser dans la maison, c’était évident. Tous les mots gentils qu’ils recevaient donnaient à Iris envie d’hurler, de tous les faire sortir de chez elle et de la laisser pleurer seule dans son coin, elle n’avait pas envie qu’on la voit s’écrouler, ni même qu’on puisse percevoir ses failles. Elle les regardait, tous, aller et venir dans sa maison avec des plateaux de cookies, des plats de lasagnes, prendre son père dans leurs bras. Elle allait péter les plombs, tous les foutre dehors avec leurs airs de pitié, la plupart ne la connaissait même pas. Est-ce qu’ils savaient au moins que sa mère détestait les pâtes ? Est-ce qu’ils connaissaient sa date de naissance ? Étaient-ils au moins au courant que les iris étaient ses fleurs préférées ? Hein ? Est-ce qu’ils s’intéressaient un peu à elle du temps où elle était encore là ? Pas le moins du monde ! Quelle hypocrisie. Les larmes commençaient à monter, c’est à ce moment-là qu’elle sentit quelqu’un poser sa main sur son épaule. Encore un abruti désolé, encore des tas de courbettes pour des gens sans intérêt, encore… « Jaeson ! » Aussi bizarre soit-il, elle était contente de le voir. Enfin quelqu’un qui la connaissait, enfin quelqu’un qui comprenait ce qu’elle ressentait, quelqu’un qu’elle avait envie d’avoir auprès d’elle dans ce moment compliqué, dans cette immense sensation de vide. « Sors-moi d’ici. » Il attrapa sa main et la conduisit dehors, ils marchèrent quelques minutes sans échanger le moindre mot. Sa paume dans la sienne, son contact suffisait à la calmer, à atténuer sa colère. Lorsqu’ils arrivèrent près de la rivière, le brun lui fit signe de s’asseoir et sans vraiment comprendre ce qui lui arrivait, elle éclata en sanglot. Pas de semblants, pas de fierté, elle était triste, seule, son cœur était brisée et elle avait l’impression que plus rien ne serait plus jamais comme avant. Sa gorge était nouée, elle avait du mal à respirer, elle s’étouffait presque dans ses sanglots et ça faisait du bien de craquer. Après de longues minutes qui avaient semblé durer des heures, elle se calma un peu et planta son regard dans celui de son meilleur ami. « Merci. » C’était un petit mot, mais ça valait bien plus que n’importe quoi. Lui, eux, leur amitié était la seule et unique chose qui lui donnait le sentiment d’exister dans ce monde en noir et blanc.
Devant son miroir, Iris se préparait pour la soirée dont tout le monde parlait au bahut. Dean avait organisé une pool party dans sa maison en l’absence de ses parents et le lycée entier était invité. « R., tu ne peux pas manquer ça ! » Le téléphone posé sur sa commode, Iris se maquillait en même temps qu’elle parlait à sa blonde préférée. « Essaye pas de te trouver tes excuses, je passe te chercher dans une heure, débrouille-toi. A tout à l’heuuuuuure. » Elle raccrocha d’un mouvement de doigt et reprit sa séance de camouflage. Elle avait déjà revêtu sa tenue, une robe rouge qui moulait son corps à la perfection, des escarpins qu’elle venait tout juste de dénicher en soldes, on lui aurait donné la vingtaine, du haut de ses maigres seize ans. Finalement, après quelques ajustements de dernière minute, elle attrapa son sac et fila à sa voiture. « Shit, j’avais oublié… » Elle ouvrit son coffre et y récupéra sa paire de converse, idéal pour conduire. En même temps que son sac à main, elle déposa sa paire de talons à l’arrière et conduisit jusqu’à chez sa pote. « J’suis devant. » Envoyé. Elle patienta quelques minutes, guettant le moindre mouvement sortant de chez les Goodwin. Elle savait bien que son amie allait devoir faire le mur pour sortir et qu’elle n’avait aucune expérience en la matière. Ce soir était une grande première et Iris était excitée à l’idée d’enfin pouvoir passer une soirée avec R.. Finalement, la portière s’ouvrit et la blonde s’installa sur le siège passager, visiblement rassurée d’avoir réussi à se faufiler en dehors de la maison sans se faire prendre. « Tu vois, quand tu veux ! T’es toute belle ! » Sans plus attendre, la brune démarra, il était temps d’aller faire la fête ! Une fois sur place, la jeune femme n’oublia pas de troquer ses baskets trouées contre ses nouvelles chaussures et de faire une entrée remarquée. Rapidement, elle toisa le salon du regard. Son cœur fit un bond lorsqu’elle aperçût Jaeson avec ses potes, et une fille accrochée à son bras comme une sangsue. Pathétique. Il avait le don de trouver des filles plus ridicules les unes que les autres, est-ce qu’il faisait ses courses au rayon niaiserie ? Finalement, elle s’avanca mais quelqu’un la retint. « Voilà enfin le rayon de soleil de la soirée. » Le beau brun l’observa des pieds à la tête, un sourire pervers au coin des lèvres. « Je sens qu’on va bien s’amuser ce soir. » Elle sourit, il en faisait trop mais ça lui plaisait qu’on l’encense comme ça. Finalement, elle lui prit la main et l’emmena au milieu du salon, pas trop loin de Jae et sa bande pour se trémousser tout contre son nouveau copain. Elle fit signe à R. de la rejoindre mais celle-ci était déjà occupée à se servir un verre. Très vite, le salon se transforma en piste de danse et Jae attrapa la petite blonde à ses côtés pour la jouer collé-serré. Iris les observait du coin de l’œil, l’idiote en face de lui fermait les yeux comme si elle était en train de vivre le plus beau jour de sa vie, et lui souriait comme un tocard fier de sa proie. Au bout d’un moment, la demoiselle s’éclipsa, sûrement pour une pause pipi ou retouche maquillage. « Lewis, j’ai soif, tu veux bien me ramener un verre ? » Elle détacha ses bras de son cou et lui fit signe de disposer et d’aller lui ramener une collation. Ni une ni deux, elle se pointa devant son meilleur ami. « Alors, on s’amuse bien ? » Le ton sarcastique de sa voix laissait transparaitre toute la jalousie qui l’habitait. « T’as pas réussi à trouver mieux qu’une bimbo dont les deux seuls neurones jouent à la bataille navale ? » Il méritait mieux, quoique non, en fait, il ne méritait personne, il était très bien célibataire. « Au moins ça lui en fait un de plus que toi. » BAM. Ça, c’était fait. « Va te faire foutre Evans. » Elle n’eut pas le temps de faire un pas qu’il lui attrapa le bras et la fit tourner pendant qu’il balançait ses fesses de gauche à droite. « Allez danse Harden ! Montre-moi ce que t’as dans le ventre. » Elle hésita une seconde, puis s’arracha de son étreinte. « Lâche-moi, tu ne vois pas que j’suis avec quelqu’un ! » Sans se retourner, elle se dirigea énervée vers le bar et s’empara du cocktail que Lewis venait à peine de lui préparer, et le but d’un trait. « J’ai besoin de plus d’alcool. » Iris enchaina les verres sans même s’en rendre compte… La terre tournait et la musique était super forte, elle n’avait jamais été aussi heureuse, tout était merveilleux. « Jaeson, tu sais, je te l’ai jamais dit mais t’es super sexy, si t’étais pas mon meilleur ami… » La grognasse qu’il avait allumé toute la soirée était toujours là mais la brune n’y prêtait même pas attention, elle ne le voyait que lui, et elle le trouvait canon ce soir. Lui attrapant la main, elle l’amena à l’écart et posa sa tête sur son épaule. « Je t’ai jamais remercié, tu sais, d’avoir été là pour moi quand ma mère… » Elle l'avait fait, pourtant, le jour-même, puis avait finalement choisi de ne plus en parler, il l'avait compris. Ca avait compté pour elle, et c'était sa facon ce soir de lui dire qu'il avait été un ami en or. Il s’écarta et planta son regard dans le sien. C’était la première fois qu’elle lui reparlait de ce jour-là. Sans réfléchir, Iris déposa ses lèvres sur les siennes, doucement, une première fois, comme un test. Finalement, le baiser d’égarement se transforma en baiser plus passionné, et directement à la chambre des parents de Dean. « Ton soutif est coincé ! » « Mais non, t’es pas doué c’est tout. » Elle gloussait tandis qu’elle dégrafait ses sous-vêtements, lui laissait descendre son caleçon jusqu’à ses chevilles. « Bon, ba… allez ! » Iris s’allongea sur le lit et Jaeson s’avança vers elle. Ca ne dura pas très longtemps, ce ne fut pas non plus très agréable, et bien que ses souvenirs ne soient pas très nets, il semblerait que l’un comme l’autre avait besoin de pratique. Mais la première fois n’avait rien de magique, elle l’avait vu dans ses séries préférées, et leur maladresse respective avait confirmé et éteint toutes ses illusions. Finalement, quand tout fut terminé, ils se rhabillèrent et se quittèrent comme si rien ne s’était passé. « J’dois y aller, faut que je retrouve R.… » Il acquiesça, et avant qu’il ait le temps d’enchainer et de répondre quoique ce soit, Iris avait déjà quitté la pièce.
Les mois ont passé, mais rien n’avait pour autant changé, les mêmes têtes au lycée, les mêmes notes correctes mais pas brillantes, les mêmes discussions, encore et encore. « Hey Iris attends, tu viens à ma fête ce soir ? » La brune attrapa le flyer que Shannon lui tendait. « J’passerai ouais ! » La cheerleader lui adressa un immense sourire et partit accoster quelqu’un d’autre à quelques pas. Toujours le même rituel, un maquillage prononcé pour cacher tout ce qui pourrait la rendre fragile et vulnérable aux yeux de tous, comme si sa couche de fond de teint masquait les failles dans sa vie. En plus de ça, elle enfila une robe un peu trop courte et des talons bien trop hauts pour une fille de seulement dix-sept ans. Lorsqu’elle se pointa chez Shannon, la musique résonnait déjà dans l’allée, et Iris commença à se trémousser avant même de passer le pas de la porte. Une fois à l’intérieur, la fête battait son plein, et la brune n’attendit pas plus longtemps pour gagner le centre de la piste avec ses copines. Des rires, des cris, des déhanchés sexy, des jeux d’alcool toujours plus nombreux… Une soirée mythique. Tout à coup, alors qu’elle allait prendre une pause, elle apercut Jaeson en haut des escaliers, appuyé sur le mur du couloir, à l’écart. Il la fixait, avant de lui faire signe de le rejoindre. Iris regarda autour d’elle, marqua une seconde d’hésitation puis le rejoignit sans plus attendre. A sa hauteur, il se saisit de sa main et s’engouffra dans une chambre avant de l’embrasser. Tous deux ne mirent pas bien longtemps à se déshabiller, et les voilà qui remettait ca… encore. Il ne formait pas un couple, loin de là, ils étaient de simples amis qui parfois se laissaient aller à un peu, après tout, les amis étaient là pour nous faire plaisir parfois non ? Entre eux, c’était passionnel, et chaque partie de jambes en l’air était meilleure que la dernière, plus intense aussi. « Je vais finir par croire que t’es amoureuse de moi Harden. » Conclut-il en enfilant son jean. « Pardon ? Je te rappelle que ca fait deux semaines de rang que tu me convoques dans tes bras Sparks. Alors mon amour, tu te le mets au cul ! » Il rit, et lorsqu’elle réalisa ce qu’elle venait de dire, elle ne put s’empêcher de sourire aussi. « Au fait, demain, on fait ce dîner de commémoration avec ma famille pour ma mère, est-ce que tu veux bien venir ? Ca me ferait du bien de te sentir à côté de moi… » Ce repas annuel, elle aurait préféré qu’il n’ait pas lieu, mais ca faisait du bien à son père, alors elle s’y résolvait sans pour autant lui avouer à quel point son souvenir le faisait mal. « Je serai là, et si t’es sage, je te ferai sentir plein d’autres choses après. » Il avait toujours les mots pour lui faire penser à autre chose, et c’était bien ce qui faisait de lui son meilleur ami depuis toutes ces années, il avait été là pour elle dans les pires moments de sa vie, et encore aujourd’hui. Tout n’était pas que charnel, il lui rendait son sourire même quand le ciel lui disait de pleurer, il l’écoutait lorsqu’elle avait besoin de parler de ses doutes, et mieux encore, elle avait l’assurance de pouvoir compter sur lui à n’importe quel moment. Il était son roc.
« Souris Harden, t’es diplômée… Et Dieu sait que c’était pas gagné ! » Quel enfoiré, mais il allait lui manquer ce con, terriblement lui manquer. « Et bientôt, je ne t’aurai plus dans mes pattes, putain, double bonne raison de faire la fête ! » Elle avait dit ça avec détachement, pourtant chacun de ses mots lui avait poignardé le cœur. Il partait à la fac, et elle… Elle restait à Blossom Hills avec son père. Leurs vies prenaient des directions opposées, il allait quitter la ville et poursuivre ses envies de liberté, elle allait s’enfermer dans une vie sans relief. « Iris, Jaeson, mettez-vous côte à côte, je veux immortaliser ce moment ! » Le jeune homme passa ses deux bras autour du cou de la brunette, et sans se concerter, ils offrirent au père d’Iris leur plus belle grimace avant de se regarder, fiers de leur connerie. « Bon, c’est notre dernière soirée, profitons-en ! » La demoiselle fronca les sourcils et chuchota d'un ton fâché : « Non mais je ne vais pas coucher avec toi Evans, on n’est pas seuls ! » Il se stoppa un moment, avant de se moquer d’elle. « Tout de suite tu veux mon corps… Je voulais juste qu’on passe un bon moment, rien de plus. Et pour info parce que j’aime avoir le dernier mot, le monde ne te dérangeait pas tant que ça fut un temps. » Elle s’offusqua, prête à l’insulter, mais celui-ci était déjà quelques mètres en avance, se dirigeant vers le terrain de foot, là où tout le monde s’éclatait déjà. « Tu ne perds rien pour attendre !!!!!! » Hurla-t-elle en courant pour le rattraper. « En plus mes talons s’enfoncent dans la boue, ils vont être fichus ! Jaeson !!! » Plus les minutes passaient, plus Iris sentait sa gorge se nouer. Son père était bien entendu toujours là, assis à une table à siroter un verre tout en discutant avec d’autres parents d’élèves, racontant sûrement les prouesses de sa fille avec une fierté non dissimulée. « C’est la dernière danse pour la promo 2013 ! Après ça, vous serez des anciens ! Profitez de ces trois dernières minutes de vie de lycéens… » Le DJ lança alors l’ultime morceau : « Here we go back, this is the moment, tonight is the night, we’ll fight till it’s over. So we put our hands up like the ceiling can’t hold us… » Iris leva ses bras en l’air, elle adorait cette chanson, mais les paroles prenaient un tout nouveau sens alors qu’elle disait au revoir à cette page de sa vie, à ses rêves, et ses envies de grandeur, et à son meilleur ami. Les souvenirs de ces années au lycée de Blossom Hills remontaient, elle se revoyait avec ses copines, riant aux éclats, elle revivait les soirées, les moments magiques de son adolescence, et puis l’image de Jaeson fit irruption dans sa tête et elle ne put empêcher les larmes de couler. C’était trop d’émotions, elle avait vécu plein de choses ici et quitter le lycée voulait dire se plonger dans la vie active, dire adieu à son insouciance et embrasser la vie d’adulte. Jaeson allait s’en aller aussi, est-ce qu’elle allait être la seule à rester pourrir ici ? Finalement, la musique s’arrêta et tout le monde tomba dans les bras de tout le monde. Quelques instants plus tard, son père lui fit signe qu’il était temps de rentrer. Elle s’éloigna doucement tandis que Jaeson l’observait s’en aller. « Demain j’aurais tiré un trait sur toi Evans. » Il cria encore plus fort. « Je t’ai déjà oublié Harden ! ». Elle sourit, les tacles, c’était leur truc depuis toujours, alors ça avait semblé logique en guise d’adieu. Sans un mot de plus, elle quitta le terrain de foot. C’était fini.
Lessivée, Iris jeta son sac à mains sur la table du salon et se laisser tomber sur une chaise de la cuisine. « Tout va bien ma fille ? » Elle leva les yeux vers son père. « Les clients étaient vraiment désagréable aujourd’hui, j’ai eu envie de les insulter tellement fort !! » Il posa la main sur son épaule. « Mais tu n’as rien dit, tu ne t’es pas faite renvoyer hein ? » A son tour, elle posa sa main sur celle de son père. « Non papa, ne t’inquiète pas. » Depuis quelques semaines, son père avait été licencié après que son usine ait eu besoin de diminuer sa masse salariale. Bien sûr, ils avaient viré les plus anciens, sûrement les moins « forts » physiquement, un beau geste de remerciement pour des hommes qui avaient donné leur vie à cette entreprise. Leur vie ne tenait donc qu’au salaire d’Iris pour le moment, alors il allait de soi qu’elle n’avait d’autre choix que de se tenir à carreaux et de prendre son mal en patience. « Des macaroni au fromage, ça t’ira papa pour ce soir ? J’ai la flemme de cuisiner ! » Quelques minutes plus tard, ils étaient tous les deux face à leur assiette de pâtes. « Au fait Iris, est-ce que tu as eu des nouvelles de Jaeson récemment ? Je l’aimais bien ce petit. » Elle lâcha sa fourchette. « Pardon… Euh non. » A sa maladresse et sa froideur, Monsieur Harden comprit qu’il avait fait une bourde, et finit son assiette en silence. Iris ne parlait plus à Jaeson depuis qu’il avait pété un plomb en lui proposant de l’accompagner comme s’il ne connaissait pas sa situation. Apparemment, sa vie d’étudiant nomade lui avait fait oublier à quel point son père avait besoin d’elle. « T’en as pas marre de cette vie à BH ? », il lui avait envoyé ça sur Facebook comme si elle menait une vie de merde, comme si tout ce pourquoi elle se battait n’avait pas de valeur. Des rêves ? Il y a bien longtemps qu’elle n’en avait plus, comment osait-il arriver avec ses grands airs et lui proposer d’abandonner son père ? Il avait vu son père s’écrouler à l’enterrement de sa mère, il l’avait vu pleurer à genoux devant la tombe, c’était incompréhensible. A son invitation, elle avait tout bonnement répondu : « Va te faire foutre Evans. » et ça avait marqué la fin de tout. Pourtant, il lui arrivait souvent de penser à lui, trop sûrement : un reportage à la télé sur un pays dans lequel il avait mis les pieds, une paire de basket au magasin qui lui aurait plu, chaque son de Macklemore à la radio, chaque fois qu’elle voyait cette putain de robe rouge dans son placard, chaque fois qu’elle faisait l’amour avec son copain. Est-ce que c’était mal ? Clairement. Pourtant, chacune de ses caresses lui rappelait sa peau à lui, son souffle ne la faisait pas frissonner comme lui savait si bien le faire… Il y avait un monde entre ce mec qu’elle essayait d’aimer et celui qu’elle avait vraiment aimé, même si elle ne voulait pas se l’avouer. C’était comme ça, elle vivait avec, persuadée que ce sentiment étrange finirait par s’estomper puis disparaître complètement.