« La plupart des gens n’ont aucune reconnaissance d’être en vie ».
BEVERLY HILLS, CA.
C’était un soir d’automne, au déclin d’une arrière saison. Au crépuscule, alors que le feuilles vermeilles des érables alentours tournoyaient dans une symphonie grotesque, des pleurs vinrent accompagner le mistral automnale. Ainsi, en ce 20 octobre de l’année 1996, la petite Slaun Marie Chambers vit le jour pour la première fois. Fruit d’une union aussi fraîche que la rosée, les parents de cette petite merveille se trouvèrent être les humains les plus comblés du monde. Ils avaient tant priés pour obtenir ce cadeau du ciel, quémandant chaque dimanche à l’autel que le Seigneur puisse leur offrir ce petit bout de paradis. Slaun, c’est ainsi qu’ils l’avaient appelé. D’origine américaine, les géniteurs de la fillette l’avait affublé de ce prénom suite à une trouvaille ô combien saugrenue. Il fallait accueillir l’enfant roi, lui offrir ce qu’il y avait de meilleur. Errant des les magasins décoratifs afin de trouver le landau parfait, les parents avaient fini par tomber sur des panneaux décoratifs où gisait des lettes gravées dans un bois onéreux. Des tas d’amas de lettres se présentaient à eux, passant par la culture maya pour finalement s’arrêter dans la paysannerie japonaise. Néanmoins, c’est un prénom aux effluves masculines qui attira leur attention. Slaun, tel était l’histoire de son prénom. Burlesque, qui plus est. Une rapide décision suite à la vue d’un bout de bois gravé. Souvent, les histoires des prénoms beaucoup plus élaborées, recherchées. Venant parfois d’un ancêtre ou d’une personnalité de l’époque qui avait alors accompli de grandes choses durant son existence. Seulement, rien de tout ça. La recherche de son prénom s’apparentait à l’idée même qu’ils avaient pris ce qu’ils avaient trouvé. Comme si son père, au détour d’un bureau de tabac, avait pris le nom d’une actrice pornographique qui trônait sur la dernière couverture de Playboy. L’important c’est d’avoir un nom, diront certains. Le reste n’a aucune importance. Et ce choix peu réfléchi se révélera être l’ébauche d’une décadence bien désastreuse. Rapidement, l’idylle de ses parents se trouva mis à mal lorsqu’il fallut se lever à des heures pas possibles pour donner le biberon ou bien changer la couche, le quotidien des époux Chambers devenant aussitôt un enfer sur Terre. Slaun dû faire ses dents, apprendre à marcher, à devenir propre. Autant de choses qui laissaient ses créateurs à bout de nerfs. Ils ne cessaient de se hurler dessus, laissant la gamine éclater en sanglot au beau milieu de la cuisine. Créchant dans un appartement minable, Slaun se retrouva aussitôt délaissée lorsqu’elle passa la barre des trois ans. Elle savait articuler quelques mots, marcher quelques temps sans trébucher. Rien de bien savant, rien de bien extraordinaire. Pourtant, ses parents avaient tout deux décidé de reprendre le travail. L’enfant se trouva alors malmenée de nourrice en nourrice, tout aussi douteuses les unes que les autres, la laissant avec des tâches de terre plein la figure lorsqu’elle venait à jouer à l’extérieur. Les écoles qu’elle fréquentait n’avait rien de bien sûres, des gamines d’à peine six ans levaient déjà leurs jupes pour obtenir un biscuit de la part de garçons plus âgés. L’innocence n’avait plus sa place dans le monde de la petite Slaun arrachée brusquement à son cocon douillet qu’elle s’était confectionné. Apprenant rapidement à lire grâce à la vieille femme qui nichait dans l’appartement en face de celui de ses parents, les livres devinrent rapidement un échappatoire à cette vie décadente qu’elle entamait alors. Esseulée, elle laissait son imagination s’engouffrer dans des recueils aux paysages magiques, aux idées lumineuses qui laissaient un sourire découvrir les deux incisives de la fillette. Durant des années, elle attendra que Peter Pan vienne la chercher en ouvrant la fenêtre de sa chambre, pensant ardemment que tout cela était vrai. Qu’elle pourrait un jour être une petite fille comme les autres. Les années passèrent, et rien ne se manifesta. Bientôt, elle comprit que le Pays Imaginaire n’était rien d’autre qu’une fantasmagorie, qu’elle finirait comme cette bonne vieille Wendy et qu’un jour elle serait arrachée à sa chambre d’enfant. Tout du moins, si cela n’avait pas déjà été effectué de façon inconsciente, ses parents ayant oublié il y a très longtemps qu’elle n’était qu’une enfant.« C’est dans le mensonge que la vérité commence ».
SANTA MONICA, CA.
Assertion contraire à la vérité, énoncée pour tromper. Inventer quelque chose de faux, user de la ruse. Duper son monde, se jouer d’une personne. C’est ainsi que le mensonge pouvait être vu, défini comme étant un acte tout bonnement abominable. Pourtant, c’est l’une des choses que son paternel lui enseigna aux prémices de sa vie, laissant une marque importante qui définira la personne qu’elle deviendra. En effet, la première fois qu’elle se retrouva confrontée à un mensonge, ce fût grâce aux paroles de celui qui était un modèle masculin pour elle. Son père, escamoteur invétéré. Tout commence avec l’histoire traditionnelle du mari qui rentre chaque jour un peu plus tard, feintant des obligations sorties de nul part. Inventions, excuses. Premières choses qu’un homme utiliseras lorsqu’il se sentira en danger. Absent d’un cocon qui se devait être familial, l’épouse commença à avoir des doutes, questionnant sa moitié afin de savoir ce qui n’allait pas. Prétextes, simulacres. Des voyages d’affaires imprévus, des réunions de dernières minutes. Ces paroles sortaient de la bouche du concerné, avec un naturel déconcertant. La femme, préférant fermer les yeux, continuera d’agir comme si tout allait pour le mieux. Il venait de monter dans l’échelle sociale, ramenant maintenant une paye qui permettait à la famille d’acheter plus de choses qu’ils n’auraient jamais pu. Le chef de famille rentrait tard dans la nuit, foulant avec discrétion le parquet pour se glisser dans le lit conjugal comme si de rien n’était. Des fois, il ne se donnait même pas la peine de rentrer. Des questions commencèrent à fuser dans son entourage, la fillette venant même à quémander après son père. Et, lorsqu’elle posait la question fatidique à propos de ce dernier, elle se retrouvait aussi expédiée dans sa chambre pendant que des torrents de larmes se déversaient des yeux fatigués de sa mère. Loin d’être naïve, elle avait fini par suivre son mari qui déserté trop souvent le domicile familier depuis quelques mois. Elle se devait d’obtenir la vérité, elle en avait besoin. L’alchimie dans le couple n’était plus présent depuis bien longtemps, l’amour des premiers jours semblait même s’être évaporé. Elle les avait vu s’embrasser comme de jeunes tourtereaux, elle les avait vu sortir d’un tas de restaurants gastronomiques main dans la main comme un couple sans histoire. Elle avait tout vu. Trahie par celui pour qui elle avait tout donné, il était de son devoir de crever l’abcès. Jusqu’à ce que la mort nous sépare, avait-il dit. Souvent, la mort s’apparente à une jolie et jeune femme d’affaires. Une blonde plantureuse, aux jambes interminables. Voilà ce par quoi il l’avait remplacé, ce pourquoi il avait détruit tout ce qu’ils avaient construits. L’habitacle devint aussi tôt un endroit chaotique, les vociférations se mêlèrent à des éclats de voix ô effluves scabreuses. Rapidement, le divorce fût prononcé. Étant devenu un homme d’affaires, le paternel n’avait pas le temps de s’occuper pleinement de ce petit bout d’humain, les voyages d’affaires qu’il entreprenait avec cette femme qui partageait dorénavant sa vie lui prenant un temps considérable. C’est donc la mère de Slaun qui obtint la garde complète de la fillette, la concernée devant rendre visite à son père au moins deux fois par an. Histoire de garder les liens familiaux au sec, de ne pas les laisser sombrer dans des eaux glaciales. L’ancienne épouse Chambers n’accepta jamais cette rupture, cherchant coûte que coûte une personne sur qui rejeter la faute. Elle n’était pas fautive, cela ne pouvait pas être possible. Elle avait toujours était courtoise, parfaite. La femme parfait. Il lui fallait un coupable, un bouc émissaire. Devinez donc qui se trouva entraînée dans ce cercle vicieux ? Slaun. Sa naissance, selon sa créatrice, avait engendré la fin de son mariage. S’étant reconvertie en femme au foyer, le temps qu’elle consacrait à ce bout d’âme l’empêchait de prendre du temps pour elle. Pourquoi aurait-il prit le temps de couvrir son faciès de cosmétiques pour faire la cuisine ou bien changer des couches. Elle n’en voyait décemment pas l’intérêt. Elle s’était laissée aller, il s’était lassé. Rien de bien compliqué à comprendre. Seulement, la matriarche refusait l’idée. Le problème ne venait pas d’elle, il venait bel et bien du fruit de leur union catastrophique. « Ce n’est pas pas de ta faute si tu as gâché ma vie, Slaun. Tu n’est qu’une sale gamine après tout. Un poids que je dois maintenant portée seule ».« C’est votre vie et elle s’achève minute après minute ».
DÉTROIT, MI.
Sa vie, d’aussi loin qu’elle pouvait s’en souvenir, semblait s’être construite autour de l’adultère qu’avait orchestré le paternel. Slaun ne pouvait se souvenir d’un moment agréable passé avec ses parents, seules des images de violences et de clameurs se présentaient devant ses yeux. Mal dans sa peau, il est évident que la gamine ne se sentait pas à sa place partout où elle allait. Cherchant à s’exiler de ce monde qui n’apportait que de la souffrance, sa créatrice avait décidé qu’il était temps d’aller rendre visite à sa soeur aînée, à l’autre bout du pays. Âgée alors d’une huitaine d’années, la fillette apprenait réellement ce qu’était la vie. Sa mère ne cessait de lui lancer des piques, plus ou moins désagréables selon son humeur. Aussi étrange que cela fût, elle trouva rapidement refuge dans un drôle de domaine : la fourberie. Un domaine dans lequel elle avait grandit. C’est alors que l’expression les chats ne font pas de chiens prit tout son sens, montrant que le sang Chambers coulait parfaitement dans ses veines. « Qu’est-ce qu’il s’est passé avec tes parents ? ». Ding, premier mensonge. À peine le divorce de ses créateurs avait été prononcé qu’elle se retrouva criblée de questions. La curiosité, un bien vilain défaut qui s’allie au péché capital qu’elle aimera tant. « Mon père travaillait trop, ma mère voulait un vrai mari. Non un mari à mi-temps ». Ô douce Slaun, toi qui maniait parfaitement la rhétorique du haut de ton jeune âge. Elle savait parler, elle savait s’exprimer. Et, pour la première fois de sa triste vie, sa petite bouche venait de mentir. Qui osera dire par la suite que la vérité sors de la bouche des enfants ? Certainement pas la jeune brune. Ce plaisir de ne pas dire la vérité, ce plaisir de s’inventer une vie qui n’est pas la sienne. Si des personnes lambda viennent à la critiquer ? Qu’est-ce que cela peut lui faire, ce n’est pas sa vie, ce n’est pas elle. Ce sentiment, elle l’aima tout de suite. Cette petite pointe d’adrénaline dans sa cage thoracique, cette lueur malicieuse dans ses yeux qui s’animaient lorsqu’elle mentait. Elle aimait cette sensation, elle ne pouvait le nier. Et cela, elle l’avait compris à l’instant même où elle lâcha son premier mensonge. « Slaun, te considères-tu comme heureuse ? ». Boum, la bombe était lâchée. La réponse positive qui avait suivi cette question venait de lui ouvrir les portes du royaume du mensonge. Slaun, heureuse ? Quelle ironie. Elle mentait pour se protéger, pour ne pas souffrir. Raconter sa vie serait trop pénible, trop douloureux. Mentir, s’inventer une vie tranquille semblait beaucoup plus alléchant. Elle mentait pour subsister, pour ne pas tomber au fond du puits. Mentir pour vivre, mentir pour survivre. À l’école, elle accusait sans cesse les autres, mentant à qui voulait l’entendre. Ce n’était jamais elle, c’était toujours les autres. Elle n’était qu’une gamine, toutes les gamines mentent plus ou moins. Elle aurait voulu arrêter, tout stopper. Dire qu’elle avait monter de toutes pièces ses paroles. Seulement, elle ne pouvait s’y résoudre. Dire la vérité serait une acte horrible, un château de cartes s’effondrant sous un courant d’air. Elle avait besoin de ses mensonges, elle avait besoin de cette fausse vie. Toutes les gamines disent qu’elles ont un poney, qu’elles ont des milliers de poupées jonchant le parquet de leur chambre. Qu’elles sont des princesses, qu’elles ont une baguette magique. Mentir, un c’est passage obligatoire pour se construire. Faire la différence entre le bien et le mal, savoir s’arrêter lorsqu’on est au bord du gouffre. Non, bien au contraire, elle ne faisait que s’y enfoncer. Sournoisement, insidieusement. Chaque jour, elle se disait que c’était son dernier mensonge, qu’ensuite elle arrêterait. Et, comme cette foutue drogue qu’est la cigarette, ses lèves en demandaient toujours plus. Sa bouche en raffolait, sa gorge en était dépendante. Mentir n’était désormais plus qu’un jeu d’enfants.« Ne jamais croire une jolie fille avec de vilain secret ».
MIAMI, FL.
En prenant le temps d’y penser, Slaun aurait pu être la perfection incarnée. Grande, blonde, élancée. Elle avait un faciès séraphique, une douceur enivrante. Tout du moins, c’est ce qu’elle aurait pu sciemment devenir si elle n’avait pas gaiement accepté de s’engager sur un chemin escarpé des plus méphistophéliques. Les années filaient à tout allure, l’eau s’étant écoulée sous les ponts. Avec le temps, tout s’en va. Les soucis, les inquiétudes, les regrets. À l’aube de ses seize ans, Slaun avait bien changé. Sa mythomanie compulsive semblait s’être évaporée, son goût pour la duperie s’était dissipé. En grandissant, les défauts de l’âge juvénile se tassent. Slaun l’avait toujours su. Elle avait toujours su qu’un jour elle serait libérée de ses chaînes. Ce renouveau avait été marqué par un important changement, la jolie blonde n’ayant guère eu le choix que d’aller rejoindre son paternel dans le sud des États-Unis. Délaissant sa vipère de mère qui venait de se trouver un nouveau petit-ami, elle n’avait jamais été aussi enchantée que de quitter la maison. Des siècles, des décennies. C’était certainement le laps de temps où la jeune femme n’avait pas vu son père, les nouvelles technologies permettant bien plus de choses qu’avant. Ce qui était une évidence, c’était que Slaun n’avait jamais eu ce qu’on pouvait appeler une enfance heureuse. Un père absent, une mère qui la détestait plus que tout au monde. Des amis en carton, des connaissances douteuses. Une vie monotone, sans grande importance. Une existence qu’elle n’aimait guère, un quotidien qu’elle semblait haïr. Le seul moment de réconfort était lorsqu’elle retrouvait son lit, son imagination pouvant alors divaguer aux limites du réel. Slaun s’imaginait une vie. La vie qu’elle aurait voulu vivre, celle qui fait rêver toutes les petites filles. C’est au détour d’un rêve, d’un songe éphémère, qu’une idée lui traversa l’esprit. Pourquoi ne pas retranscrire cette utopie onirique dans cette nouvelle opportunité qui lui tendait les bras ? Sa seconde chance, comme elle aimait à l’appeler. Loin de cette génitrice qui ne pouvait désormais plus la faire marcher à la baguette, elle se sentait comme revivre. Son père n’était pas le monstre que sa mère lui avait dépeint, bien au contraire. Il était aimant, courtois, attentionné. Tout ce que sa mère n’avait jamais été envers sa personne. Pour la première fois de sa vie, quelqu’un se comportait comme un vrai parent avec elle. Nichée au coeur de la Floride, sa vie s’ouvrait à elle comme une fleur au printemps. Elle pouvait être qui elle avait envie d’être. Une fille banale, c’est ce qu’elle avait toujours été. Rien de bien intéressant, elle n’avait rien de l’adolescente avec qui on avait envie de tisser des liens. Tout du moins, jusqu’au jour où elle décida de se prendre en main. Elle était dynamique, dotée de quelques facultés intelligibles à ne pas délaisser. Si elle l’avait réellement voulu, son sourire aurait pu lui apporter tout ce qu’elle désirait. Seulement, il lui fallut quelques temps pour comprendre comment tournait le monde dans lequel elle vivait désormais. D’une nature plutôt enfantine, ce n’est que durant sa première année de lycée que Slaun qu’elle devrait mettre du sien pour obtenir ce qu’elle désirait. Elle avait vu cela dans les séries télévisées, ces gamines populaires devant qui les autres pliaient genoux. Elle aurait voulu faire parti de cette classe d’individus, elle aurait voulu inspirer autant de respect. Elle aurait voulu être cette fille que tout le monde rêvait d’être. Elle, la jolie blonde à la peau parsemée de grains de beauté, essayant de conquérir un songe. La popularité, un foutu rasoir entre les mains d’un enfant. Elle, elle s’était coupée plus d’une fois. S’étant mis en tête qu’un jour elle pourrait prétendre au statut de reine du lycée, elle se donna les possibilités de monter dans la hiérarchie. Plus elle avançait dans les classes supérieures, plus elle se donnait le genre de la fille inaccessible que personne ne pouvait avoir. Cette gamine perfide et superficielle, moqueuse au plus haut point. Ça n’était pas elle, ça n’était pas la petite Slaun qui ne quittait jamais ses contes de fées. La jolie blonde n’avait rien d’une peste, le naturel prenant rapidement le dessus lorsqu’elle venait à essayer de dévier de son sentier. Pourtant, elle était devenue ce qu’elle désirait : une lycéenne que l’on adule. Sa vraie personnalité ne s’entrevoyait que dans une seule et unique chose : ses dessins. Endroit où elle était vraie, où elle laissait transparaître ses émotions et ses pensées. Des toiles, des centaines de toiles. Voilà ce qui gorgeait le sous-sol du motel de sa mère où elle s’était installé un petit atelier. À l’abri des regards. Peindre lui permettait de se calmer, lui permettait de décompresser. De se canaliser, d’oublier un foutu instant qu’elle n’était qu’une vulgaire menteuse. Souvent, elle se posait la question de savoir si oui ou non elle aimait ce qu’elle était devenue. Ce qu’elle montre, c’est ce qu’elle n’est absolument pas. Ce qu’elle cache, c’est ce qu’elle est. Slaun est un paradoxe, une antithèse comme on en fait plus. Être a découvert, paraître à fleur de peau : jamais. Elle n’aime personne, elle ne veut de personne. Les sentiments l’ont beaucoup trop fait souffrir, l’homme n’étant qu’une montage d’hypocrisie. Son coeur est anesthésié par la peur de souffrir, ses membres sont atrophiés par les coups de la vie. Elle ne doit en aucun cas faillir, en aucun montrer patte blanche. Elle n’avait jamais été aimée, elle ne le serait jamais. Seuls ses rêveries étaient là pour elle, seuls ses mensonges pouvaient lui créer cette carapace qui l’empêchait d’être percée à jour. Dans la vie, il y a ceux qui sont devant et ceux qui suivent. Slaun ne veut plus être de l’arrière-plan, elle en a beaucoup trop souffert. L’adolescence vient avec son lot de désolations, de problèmes. D’erreurs. Alors que la jolie blonde semblait avoir tout ce qu’elle chérissait, elle fauta pour la première fois de sa vie. Certes, elle avait déjà engendré quelques erreurs, comme toute personne de son âge. Seulement, elle plongea tête la première dans une rivière tumultueuse qu’il aurait mieux valu éviter. Slaun se souvient de ce jour comme si elle revivait l’instant. Comme si son cerveau avait enregistré la scène avec les moindres détails. L’entreprise de son paternel venait de faire faillite, la petite famille ayant du mal à joindre les deux bouts. C’était en flânant sur quelques sites divers que l’américaine était tombée sur cette annonce, une annonce qui promettait une discrétion totale. L’objet de cette note ? Des photographies. Adhérente de l’équipe de cheerleaders de son lycée depuis bientôt trois ans, prendre la pose était quelque chose dont elle avait l’habitude. Et puis, ayant désormais perdu l’innocence qui se lisaient auparavant dans ses iris émeraudes, la jeune femme avait bel et bien conscience de son physique. Elle envoya donc un cliché à ce photographe qui demanda tout de suite à la rencontrer. Aussitôt, plusieurs séances furent programmées. Slaun devait passer différentes tenues, poser à des endroits multiples avec diverses poses. Plus les jours défilés, plus les tenues étaient minimales. Seulement, ce qu’elle avait aussi remarqué, c’est que le cachet était de plus en plus important. Plus ou moins dénudée, la blonde allait rompre son contrat lors que le photographe lorsque celui-ci lui proposa une somme conséquente. Le deal ? Poser en petite tenue. Elle y réfléchit à deux fois, inspectant bien la proposition. Les clichés n’avaient rien de grossier, aucun caractère pornographique. C’était le genre de photographie que faisaient des mannequins lambda. Son air innocent, enfantin semblait plaire. Son employeur lui avait promis que ces clichés ne seraient jamais publiés au grand public, servant à effet personnel ou bien dans des magasines bien spécifiques qui n’étaient pas vendus dans le pays. Naïve, Slaun. Candide enfant. Elle accepta la proposition et empocha la somme. Imaginez donc sa surprise lorsque, quelques semaines après, elle retrouva sa personne placardée partout sur les murs de son lycée. Elle, la petite cheerleader sans histoire, mise à nue aux yeux de tous. Rongée par la honte, elle ne savait même plus quoi penser, quoi faire. Elle était coincée dans un flot de mensonges, une torrent mortel qu’elle ne pouvait pas quitter. Que devait-elle faire ? Elle n’en avait aucune idée. Sa réputation qu’elle avait pris tant de minutie à construire venait d’être mis à mal en quelques secondes, réduite à néant. Certes, beaucoup virent ces photographies comme un honneur, un éloge. Ne trouvant pas qu’elle devait avoir honte de ce qu’elle avait fait, elle devait au contraire assumer ses choix pour faire taire les mauvaises langues. Pour d’autres, c’était une insulte au puritanisme américain. Une insulte à sa famille. Une insulte à sa propre personne. Se laisser photographier dans de telle tenue, où se situait le respect ? Humiliée, l’apogée se créa lorsque son père se trouva en possession des clichés en question. Trahie, salie. La petite blonde avait donné sa confiance trop rapidement et elle se retrouvait dupée à tout jamais. Essayant d’expliquer l’histoire à son père, ce dernier ne pouvait que comprendre le pourquoi de son acte. Elle avait voulu l’aider, après tout. Elle avait toujours était serviable, toujours a aidé les autres. Cependant, elle avait fait le mauvais choix. Ne pouvant accepter d’avoir une trainée sous son toit comme le disait la petite-amie de son paternel, sa mère respective ne voulait pas non plus la récupérer. « J’ai toujours su que notre fille finirait pute ». Au bord du gouffre alors qu’elle se morfondait dans sa culpabilité, son père décida de l’envoyer là où personne ne pourrait être au courant du scandale. Chez son oncle Blossom Hills.« Ce que vous faîtes résonne dans l’éternité ».
BLOSSOM HILLS, 2015.
Slaun, un prénom bien aérien qui comporte bien des turbulences. Elle est âgée de dix-neuf ans, et pourtant on lui donnerait dix-huit ans à peine. Fraîchement débarquée de son état de Floride, cela ne fait que quelques mois que la jeune femme crèche chez son oncle. Homme grognon, peu sociable. Acariâtre, très vieux jeu. Ce dernier semble aimait l’alcool plus que tout au monde, son hémoglobine s’apparentant plus à un flot incessant de vin qu’au liquide ferreux et vermeil. Elle ne l’avait jamais vu avant de poser bagage sur son patio, elle ne savait même pas qu’elle avait de la famille dans ce coin des États-Unis. Insouciante, ingénue. Slaun s’était dirigée tête baissée dans la gueule du loup, elle en avait honte. Elle savait que tout était de sa faute, qu’elle était seule responsable de ce qu’il lui arrivait. Elle ne pouvait que se blâmer, se détester. Désormais membre à part entière de cette douce bourgade, Slaun ne pouvait pas se cacher indéfiniment dans sa minuscule chambre à coucher. Ici, personne ne savait ce qu’elle avait fait. Tout du moins, pas encore. Et, cela va de soit, elle espérait que cela dur des années. Elle avait repris ses études, elle avait trouvé un travail. Elle essayait de sortir la tête de l’eau, de ne pas couler au fond de ce lac d’eau glacée. La fille Chambers était une battante, pas une faible. Elle n’avait jamais baissé les bras et cela n’arriverait pas de sitôt. Il était temps pour elle d’enfiler un masque, de se cacher derrière une apparence autre que celle de l’adolescente détruite. Une nouvelle fois, Slaun se devait de passer outre et de continuer à vivre comme si de rien n’était. Comme si sa vie était un conte, une fable. Comme si, à la fin, il ne pouvait y avoir qu’un dénouement heureux. Une morale réfléchie. Elle ne pouvait pas écrire son histoire sans qu’elle ne finisse comme elle l’avait décidé. Elle se devait de se battre, de s’offrir ce qu’elle méritait. Au plus profond de son âme, elle savait que cela n’allait pas être facile. Revenir sur les railles demandait beaucoup de rigueur, d’application. De la volonté. Elle remonte la pente, doucement. S’accrochant à des espoirs, à des brisures de rêves. Elle survit, elle persiste. Ses vieux démons ne tarderont pas à lui emboîter le pas à nouveau, son besoin constant de se sentir aimée reprendre le dessus sur elle. Elle la compagnie des hommes, pas forcément la gente masculine en elle-même. Se changer les idées, c’est tout ce qu’elle cherche. Elle se doit de garder la tête hors de l’eau, à la surface. Seulement, sa culpabilité la prenait à la gorge, comme des odeurs d’ammoniaque. Slaun est belle. Slaun est vulnérable. Son corps svelte et son visage ô combien gracieux l'aident beaucoup, elle le sait. Elle s'en sert. Un serpent, c'est ce qu'elle est. Une rose dont les épines blessent violemment. Slaun, un prénom bien aérien pour une demoiselle aussi peu conventionnelle. Sulfureuse. Manipulatrice. Hypnotisante.