ELENA ▬ You'll always worth it.

« Tu es trop mignonne ma petite, tu sais ? » Sans que je ne le commande vraiment, un sourire victorieux apparut sur mon visage tandis que je remettais ma culotte et relevait le haut de ma robe pour le replacer correctement sur mon corps, m’assurant bien sûr de bien remettre ma poitrine en valeur, exactement comme je l’avais présentée en entrant dans le bureau. Heureusement, ce simple geste me permit de dissimuler ce fameux sourire, puisque je me refusais de paraître trop sûre de mon coup pour le moment. Par contre, je ne pouvais pas m’empêcher de penser que c’était dans la poche. Ça ne pouvait pas être autrement; c’était la seconde fois que cette dame demandait à me rencontrer et tout comme la première fois,  elle n’avait que des compliments à me faire. En une heure – incluant la demi-heure pendant laquelle nous nous étions adonnés à de sérieux ébats sexuels sur son bureau – jamais une personne du monde de la mode m’avait fait autant de compliments qu’elle. Elle ne pourrait pas me rejeter comme les autres, elle n’avait pas le droit de faire une chose pareille, plus maintenant. Une fois que je fus rhabillée, je me présentai, droite comme une statue, devant la dame qui venait tout juste de finir de rattacher son chemisier. Pendant un instant, nous nous regardâmes dans les yeux, comme si le courant passait réellement, comme s’il y avait quelque chose entre nous susceptible d’engendrer de belles promesses, un bel avenir. Jamais je ne m’étais sentie comme cela auparavant. Au début, je croyais que d’avoir une relation avec une femme allait me laisser particulièrement perturbée, mais maintenant que je voyais où cela allait me mener, je ne savais pas pourquoi j’avais eu peur dans un premier temps. Tout s’était passé pour le mieux, et je ne voyais pas en quoi cela pourrait mal se passer, jusqu’au moment où le visage visiblement satisfait de la femme se transforma en petit rictus malicieux et qu’elle me dit : « Merci beaucoup, en tout cas. Ça faisait longtemps que j’avais pas eu ce genre de partie de jambes en l’air. » Mon propre air ravi devint soudainement confus. Je ne sus quoi dire dans un premier temps, mais lorsque j’entendis un « Tu peux y aller maintenant. » je ne pus m’empêcher de dire : « Qu… Quoi ? » « T’as pas compris ? Tu peux y aller maintenant. » « Mais mon portfolio ? » Elle éclata alors d’un rire glacial. Un rire qui dura plusieurs secondes et qui me fit sentir toute petite. Si j’avais pu m’enfoncer dans le plancher pour ne jamais ressortir, je l’aurais probablement fait. À la place, j’étais bien et bien présente pour écouter le « Tu pensais vraiment avoir une chance, ma petite ? Mon Dieu, qui a pu te dire une chose pareille ? » qu’elle me sortit et qui eut pour effet de me faire monter les larmes aux yeux. Perdue, je marmonnai seulement « Mais vous… » sans savoir que je venais donner à la femme le marteau pour creuser le dernier clou de mon cercueil, ce qu’elle fit allègrement en lâchant : « Tu crois que parce que j’ai couché avec toi, j’allais t’offrir un contrat. Ma pauvre, tu es si naïve ! Personne ne voudra jamais de toi dans ce milieu, tu comprends ? Absolument personne. » Ne voulant plus en entendre davantage, je tournai les talons sans demander mon reste, sans même reprendre mes photos parce que plus jamais je ne voudrais avoir affaire à ce monde que je trouvais à présent horrible. J’avais absolument tout fait pour devenir mannequin. Maintenant, je me sentais comme la personne la plus ridicule au monde d’avoir cru cet homme qui était passé comme si de rien n’était, me disant que j’avais la « tête à l’emploi ». Tête à se faire foutre de sa gueule, carrément. Perdue, je sortis en courant de l’agence, puis j’allai me réfugier dans la boulangerie de mon père. Sans demander de l’aide à qui que ce soit, je pris le premier gâteau qui me tomba sous la main, et je l’engloutis le plus rapidement que je pus. J’avais besoin de noyer ma peine dans celui-ci, je ne savais pas comment je pouvais faire autrement. À ce point précis, ma vie était complètement foutue. Toute seule depuis toujours, j’avais absolument tout fait pour y parvenir, et chaque fois, je m’étais faite rejeter. Cette fois-ci était celle de trop, je ne saurais pas en supporter davantage. Je ne pouvais pas me supporter davantage. Quelques minutes après avoir fini le gâteau, je me ruai dans les toilettes, y vomis tout ce que j’avais ingéré, y compris mon petit-déjeuner du matin, et seule dans cette cabine, je pleurai. Je pleurai toutes les larmes de mon corps, j’en hurlai même, ne sachant même pas comment je saurais me relever d’une telle humiliation, d’un tel rêve brisé à tout jamais. Pourrais-je avoir une vie après cela ? Serais-je en mesure de me regarder dans un miroir après ça ? Je ne savais plus rien, je ne voulais plus rien savoir, je ne voulais plus rien ressentir.

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« Vous saviez ce qu’on faisait, quand j’étais plus jeune, votre grand-mère et moi ? » Je me contentai de secouer la tête négativement, tandis que ma petite sœur, plus bavarde, préférait lancer un « Non ? » qui faisait le même boulot que mon non-verbal. « Eh bien, quand papa nous faisait un feu, on écrivait toutes nos frustrations et ce qu’on voulait oublier sur des morceaux de papier, et on les jetait au feu. » Jessie regarda notre mère, émerveillée, tandis que moi, je ne faisais que la considérer d’un sourire en coin, ayant déjà deviné que c’était exactement ce qu’elle voulait qu’on fasse. Ce n’était pas difficile à déduire; cette soirée entre filles que nous avions organisée au chalet tandis que Benjamin et papa étaient partis en camp de chasse pour deux jours, c’était justement pour tenter de retrouver un semblant de bonne humeur. Ou plutôt, faire en sorte que Jessie retrouve le sourire. Combien de fois avais-je entendu parler de cette fameuse soirée en une semaine ? Plus que ce que je ne saurais compter. Maman était si désireuse d’arracher ne serait-ce qu’un sourire à sa benjamine qui venait de faire une fausse couche qu’elle était prête à tout faire pour y parvenir, y compris me forcer à venir passer ce week-end avec elles deux en campagne. Forcer était un grand-mot, puisque suite au départ de Tasha, je devais admettre que j’en avais envie quelque peu, moi aussi, même si je n’avais pas un seul moment à moi pour me plaindre de ce qui se passait dans ma vie, des choix que j’hésitais à faire compte tenu des derniers évènements. Ce n’était pas plus grave que cela, parce que j’avais l’habitude de ne rien dire, de garder tout pour moi. Mes tentatives d’être mannequin, j’avais tout gardé. Ma boulimie, j’avais tout gardé. Cet amour secret pour Benjamin, je le gardais encore et toujours pour moi, même si, cette fois-ci, je sentais que j’avais le pouvoir de changer les choses, à commencer par ici et maintenant. Soudainement très désireuse d’essayer cette petite tradition je dis « Et… Tu voudrais qu’on essaie ? » Je vis une lueur de satisfaction apparaître dans les yeux de ma mère, mais comme si elle tentait de nous faire mariner, elle préféra dire, feignant la naïveté : « Eh bien, c’est comme vous voulez… » « Moi je veux bien ! » Pour compléter le jeu de ma mère, je haussai les épaules, donnant ainsi le feu vert pour retourner à l’intérieur chercher du papier et de quoi écrire. Cependant, avant de ressortir avec le nécessaire, Jessie lâcha « Attends, j’ai mieux ! » avant de piquer vers sa chambre, et revenir avec les photos de sa dernière échographie. Ma mère fronça les sourcils, et elle expliqua : « J’en ai des copies, mais celles-ci… » Sachant que c’était probablement le mieux pour elle, ni ma mère ni moi-même nous nous y opposèrent. En fait, je suivis même l’idée de ma sœur, et discrètement, j’allai chercher quelque chose dans mon sac à main; une enveloppe avec une lettre dedans. La lettre provenait de Tasha. Je l’avais lue rapidement, et j’avais compris que normalement, j’aurais dû en parler à Benjamin, le prévenir de tout cela. Je ne l’avais pas encore fait. J’avais eu un moment d’hésitation et finalement, quand j’aurais dû aller lui parler, j’avais été traînée dans ce chalet. Peut-être était-ce pour le mieux ? Peut-être était-ce un signe comme quoi je ne devais pas lui dire ? Je remuai un bon instant la question dans ma tête, me rendant compte que si Benjamin continuait de croire que Tasha était partie parce qu’elle ne voulait plus de lui, alors peut-être que j’avais une chance de l’avoir pour moi seule. Cette éventualité me faisant soudainement rayonner de joie pour la première fois depuis très longtemps, je n’eus pas besoin de répondre au « Elena, tu viens !? » avant de me présenter à l’extérieur, revenant non loin du feu avec l’enveloppe. Maman fut alors la seule à écrire quelque chose sur un bout de papier, et lorsqu’elle eut terminé, elle le roula en boule et le lança dans le feu. Jessie suivit non loin en jetant les photos. Pour ma part, je balançai l’enveloppe dans les flammes, et puisque ma mère ne m’avait pas vue la sortir, elle crut bon de me demander « Qu’est-ce que c’est ? » et le plus sincèrement du monde, je haussai les épaules et je dis : « Ce n’est rien du tout. » en souriant doucement pour terminer de la rassurer. Effectivement, cette lettre ne représentait plus rien du tout à présent. Alors que c’était un obstacle dans le chemin me menant vers Benjamin. Cette fois-ci, rien ni personne n’allait m’arrêter, me rabaisser ou quoi que ce soit. Le sourire aux lèvres, je regardai alors cette lettre partir en cendres et fumée, soudainement libérée d’un poids, réellement assurée que quelque chose de bien pouvait finalement arriver pour moi.