You're my past, not my future + Hannah

Les jours se ressemblaient. La journée d’aujourd’hui allait se dérouler de la même manière que celle d’hier. Allongé dans mon lit, je m’enfouissais à nouveau sous les couvertures, me laissant à nouveau aller à mes pensées. Il fallait que je me secoue, que je fasse quelque chose de constructif. Comme chaque matin, je me posais la question de mon départ pour retrouver un semblant de vie. Comme chaque matin mon cœur se serrait et une angoisse grandissait me rappelant que je n’étais pas prêt. Je guettais le moindre bruit dans la maison : c’était silencieux, bien trop silencieux. Personne n’était là. Je me forçais à me lever et filer sous la douche. Une nouvelle journée venait de commencer.

Je plissais les yeux d’un air sceptique en regardant la recette du gâteau. La cuisine ce n’était vraiment pas mon domaine, mais j’avais faim et je voulais faire quelque chose de constructif pour une fois. Il fallait que je m’occupe l’esprit c’était vitale. Je n’en pouvais plus de regarder des trucs débiles à la télévision. Et puis, même si je ne croyais pas vraiment en mes capacités, un gâteau chocolat-poire ca ne devait pas être si difficile à faire. Il suffisait de suivre les étapes une par une et si une odeur de brûlé se répand dans la maison il faut courir jusqu’au four… Je notais qu’il fallait que je reste près du four. Impossible de courir pour le moment. Je relevais les manches de mon pull et partais à la recherche de la farine. J’ouvrais cinq placards avant de tomber sur le pot. Ma mère et son rangement sans queue ni tête. Je mélangeais les ingrédients et je trouvais que je ne m’en sortais pas si mal. La pate avait l’air mangeable. Mais c’est au moment de découper les poires que les choses se compliquèrent. Les premières ne posèrent pas de problème mais je voulais attraper les autres. Ma jambe ne suivait pas, je perdais l’équilibre et je me retrouvais sur le nez sur le carrelage. Je pestais lourdement alors qu’une douleur fulgurante naissait sur mon avant-bras. Merde. J’étais tombé avec le couteau et le sang coulait noyant mon pull et tâchant le sol. Je l’enlevais rapidement et regardais l’envergure des dégâts. Je grimaçais et me sentais mal. Je détestais la vue du sang depuis toujours, l’accident n’avait pas aidé à arranger les choses. Je ne devais pas avoir besoin de me rendre à l’hôpital. J’attrapais un torchon et enroulais mon bras dedans. Je prenais appuie comme je le pouvais sur l’une des chaises pour me relever. La pate à gâteau allait bien, les poires aussi. Je soupirais de soulagement, au moins un truc que je n’avais pas foiré aujourd’hui.

J’allais monter dans ma chambre pour prendre mon téléphone portable et appeler mon père. Je préférais qu’il jette un coup d’œil pour ne pas aggraver la situation. J’avais monté les premières marches lorsque l’on sonnait. Le plus mauvais timing de l’histoire de l’humanité. Je pestais et me dirigeais vers la porte pour ouvrir. Comme si la Terre entière avait décidé d’être contre moi aujourd’hui, je me retrouvais face à Hannah. « Salut. » lançais-je sobrement. Je tournais les talons pour reprendre mes plans initiaux, sans plus de cérémonie. C’était bien la dernière personne à quoi j’avais envie de parler. « Mon père n’est pas là. » C’était la seule explication logique. Ce n’était pas pour moi qu’elle était là. Ce n’était plus le cas depuis longtemps.

La coupure était nette. Je n’étais pas médecin mais étant donné que mon père l’était, j’avais très tôt appris à reconnaître une réelle urgence de quelque chose qui pouvait attendre… Le problème est que je n’étais pas réellement objectif. Il était hors de question que je retourne à l’hôpital. Je préférais encore me vider de mon sang sur le merveilleux tapis blanc de ma mère… Bon si je pouvais éviter de mourir ce serait pas mal. Tâcher le tapis de ma mère ce n’était pas une mauvaise idée… Mais difficile de justifier mon passage dans le salon avec le bras ensanglanté. Je décidais d’être raisonnable et j’abandonnais le gâteau pour monter à l’étage me soigner le bras et si besoin appeler mon père. J’avais le sens des priorités. Sauf que quelqu’un venait de sonner à la porte, perturbant mes plans. Je râlais comme toujours et me décidais à ouvrir. Pourtant je n’étais pas vraiment présentable, je faisais assez peur. J’avais du sang sur mon t-shirt, sur mon jean et le bras enroulé dans un torchon. Ce n’était pas beau à voir mais si quelqu’un prenait la peine de sonner : C’était peut-être important. Mon visage changeait d’expression en découvrant Hannah. Mais qu’est ce qu’elle fichait ici ? Je prenais le temps de la saluer. Depuis mon retour forcé, j’avais vite compris que mon ex petite amie et mes parents avaient gardé des rapports amicaux. Elle travaillait d’ailleurs avec mon paternel. J’en avais donc rapidement déduis que j’allais être obligé de la croiser assez souvent. Mes pires cauchemars. Comme si le sort avait décidé que je n’avais pas encore assez subi ses caprices. J’ajoutais que mon père n’était pas là, ce qui sous-entendait, qu’Hannah pouvait faire demi-tour et disparaître de ma vue. Pas de chance : mon père était à l’origine de sa venue. Je soupirais. « Super. » Je n’étais pas censé être là. Sauf que jusqu’à preuve du contraire, j’étais toujours chez moi, du moins chez mes parents et légitimement j’avais le droit de rester si j’en avais envie. « Fais ce que tu as à faire. » Je retenais le « je m’en fiche » de justesse mais le ton était bien là. Aucun doute sur mes sentiments : Je n’avais aucune envie de la voir. Je montais les escaliers, lentement étant donné que je voulais éviter une autre catastrophe. La jeune femme avait eu le loisir de remarquer que quelque chose n’allait pas. J’entendais un bruit sourd et elle était déjà à côté de moi. « Rien. » je grommelais dans mes moustaches. Mais qu’est ce que ca pouvait lui faire. Je retirais assez violemment mon bras de son regard et manquais de perdre l’équilibre, laissant échapper un juron. « Je suis capable de m’occuper de moi, c’est bon. » Je continuais mon ascension. Les derniers mois avaient été durs et si Hannah commençait à penser que j’étais un gamin en sucre à qui il fallait faire attention, je n’étais pas sorti de l’auberge. Réaction totalement débile : elle était capable de m’aider, de me soigner et de savoir si c’était grave ou non. J’avais un gros problème : ma fierté. Hannah son gros problème c’était son côté têtu. Je soupirais : « Ok, je coupais des poires, je suis tombé, je me suis entaillé le bras avec le couteau, et là je vais faire en sorte de ne pas mourir après m’être vidé de mon sang ou à cause d’une septicémie avant que ce putain de gâteau soit cuit. fin de l’histoire. Ca te va ? » Maintenant elle pouvait tourner les talons et faire je ne sais trop quoi en me fichant la paix.

Revoir Hannah était une véritable torture. J'avais pourtant tenté de l'oublier, de faire d'elle un fantôme du passé ou une erreur de jeunesse mais c'était peine perdue. C'était mon premier amour, la femme que j'avais demandé en mariage et avec qui j'avais imaginé passer le restant de mes jours. On m'avait dit que le temps soigne toutes les blessures. J'avais besoin d'une éternité ou deux. J'allais devoir apprendre à vivre avec. Encore une chose à ajouter à ma longue liste : je devais apprendre de vivre sans James, avec une culpabilité étouffante, supporter le regard des gens qui me tiennent responsables ou qui me plaignent : moi le pauvre gamin à qui tout réussissait et qui finissait comme l'ombre de lui même. Finalement mourir d'une septicémie à cause d'un gâteau n'était pas si horrible. Bref, si je voulais me débarrasser de la jeune femme je n'avais d'autres choix que de lui raconter. Et voilà quelle se foutait de moi. Je haussais les sourcils et répondais du tac au tac : "c'est ma jambe le problème. pas mes talents de cuisinier." même si j'étais toujours aussi mauvais. Je passais mon temps à commander lorsque j'étais à mon appartement.

Nous nous installions dans ma chambre. Hannah se lavait les mains, je tentais de soulever le torchon sans perdre connaissance. Ma tête tournée j'arrêtais immédiatement mon cinéma. Voilà pourquoi j'étais avocat et pas médecin. La jeune femme me forçait à m'asseoir. Je ne luttais pas. Apparemment c'était plus grave que je ne le pensais. " si je refuse tu es capable de m'assomer. Je ne prends pas le risque." répondis-je en grimaçant. Elle mit les gants avec cérémonie. Je râlais silencieusement. " si je suis mauvais en cuisine tu n'es pas plus doué en couture alors si je pouvais éviter les points de sutures." je me mordais les lèvres. Bordel c'était horrible. J'avais l'impression d'avoir le bras en feu avec le désinfectant. Une cicatrice de plus ou de moins dans le fond... Ça ne changeait pas grand chose. " j'ai la tête qui tourne." murmurais-je je ne me sentais vraiment pas bien d'un coup. Je devais être devenu très blanc. Le sang. Je détestais le sang. " si tu pouvais te dépêcher. Une cicatrice de plus ou de moins je m'en fiche. Pas besoin de faire dans l'esthétique. Mais fais disparaître ce sang." c'était une véritable supplication.

Je ne pouvais définitivement pas mettre Hannah à la porte. Ce n’était pas faute de ne pas vouloir le faire. Je n’étais pas prêt. Je n’étais pas à l’aise et en position de faiblesse, ce qui me faisait automatiquement sortir les crocs même si je tentais de rester courtois. J’étais submergé par mes émotions depuis mon réveil du coma que je n’arrivais à pas à contrôler. Apparemment c’était assez normal : post traumatique qu’il disait… Si mon esprit n’avait que peu de souvenirs de ce qui s’était passé mon corps lui se souvenait. Je trouvais ça complètement fou. Mon père m’assurait que c’était vrai. Je voulais bien le croire. Je haussais les épaules lorsque la jeune femme se permettait de me dire que ce n’était qu’une excuse. Oui je n’avais jamais été doué pour faire la cuisine, pourtant ce n’était pas faute de suivre les recettes à la lettre, et de faire des efforts. « Si tu le dis. » Je ne m’étendais pas sur le sujet. Je ne montrais pas le moindre sourire alors que je l’aurai certainement renvoyé l’ascenseur par le passé. Mais que pouvais-je lui dire ? Qu’elle avait raison ? Que je n’étais pas foutu de me faire un gâteau et qu’en dehors de commander… Je n’avais pas d’autres moyens de survie. De toute façon, j’avais une chance d’y passer avec cette blessure : soit par une infection, soit par un mot de travers durant les soins qu’elle allait me faire. Elle était parfois violente Hannah, même s’il y avait toujours une grande forme de douceur en elle. Je l’avais appris à mes dépends en poussant quelques blagues un peu trop loin, ou en m’amusant à me faufiler dans son dos lorsque nous étions ensemble. Elle réussissait à me décrocher un sourire en disant qu’elle aimait se faire entendre. « Tu sais effectivement casser les oreilles. » Je lui faisais d’ailleurs une petite réflexion, une pique en référence à celle qu’elle m’avait lancé un peu plus tôt. Je gémissais en sentant la pression augmenter sur ma blessure. Ok. Je devais apprendre à tenir ma langue. Je levais les yeux au ciel. « Si tu le dis. » Je me mordillais les lèvres. La vue du sang me faisait tourner la tête, j’avais la nausée et terriblement mal. Comme la plupart des hommes, j’étais un bébé lorsqu’il s’agissait de soigner une petite blessure. Pourtant n’avais-je pas vécu plus grave ? Cette entaille n’était rien par rapport aux séquelles de l’accident. Pourtant c’était plus fort que moi. Je ne pouvais m’empêcher de me lamenter. Je sursautais alors qu’elle nettoyait la plaie. Elle stérilisait l’aiguille comme j’avais vu mon père le faire plusieurs fois. Le fil était le même. Je ne sentais plus les contours de la plaie, Hannah avait certainement endormi avec son truc qui pique. J’étais prêt à bondir de ma chaise lorsqu’elle me demanda de ne pas jouer aux bébés. Mon regard devait la fusiller sur place. Je serrais les dents. "Je crois être en droit de me plaindre." maugréais-je. Bien décidé à faire ma mauvaise tête j'ajoutais : "Je ne pense pas avoir demandé ton avis de toute façon."

Je n’étais pas très doué pour me forcer à faire bonne figure, du moins je ne l’étais plus. Hannah me tapait sérieusement sur les nerfs et si le peu de respect que je lui portais encore me permettait de ne pas la mettre à la porte, je serrais les dents. Je n’étais pas agréable avec elle, tentant de mettre autant que possible de l’espace entre elle et moi. Je n’étais pas d’humeur. J’étais déjà assez mal sans me prendre de nouvelles claques en pensant au passé et à ce qu’aurait pu être le futur. J’acceptais qu’elle me soigne. Avais-je vraiment le choix ? Au fond de moi, je lui étais reconnaissant de prendre la peine de m’aider, même si je la repoussais. Je devais avouer que ses gestes étaient précis et efficaces. J’étais un très mauvais malade mais je ne pouvais me plaindre de la douleur, bien que l’horreur de la vue du sang soit bien présente. Je hochais la tête. « D’accord. » La remercier était adéquat dans cette situation mais… C’était difficile. Vraiment. Fidèle à moi-même, je faisais ma mauvaise tête et n’appréciais pas vraiment ses commentaires. J’étais frustré d’être dans cette situation que je considérais comme étant de faiblesse. Comme un gamin qu’on pouvait punir à n’importe quel moment. Son regard se posait sur moi. Je n’étais pas le seul à crier haut et fort mes opinions. Je serrais les dents. Depuis l’accident, j’étais une bombe qui n’attendait qu’une chose : exploser. Je ne pouvais m’empêcher de bondir alors qu’elle énonçait le nom de mon frère. Pensait-elle aussi que j’étais responsable ? Mon égo était blessé, mon cœur saignait. Je me levais d’un bond. « Je devrais… Je devrais… Je ne dois rien à personne à ce que je sache ! Je fais ce que je veux et comme je l’entends. Tout le monde y va de sa petite réflexion comme s’ils étaient à ma place comme s’ils pouvaient se permettre de commenter la situation parce qu’ils savent, parce qu’ils peuvent comprendre. Tu veux un scoop ? Personne ne sait rien. Qu’est ce qu’ils pensent ? Que je dois faire un grand sourire et m’estimer heureux ? Youhou je suis en vie. Et bien non ca ne fonctionne pas comme ça. Et ce pauvre James… Comme tout le monde aime le commenter. Si on pouvait échanger nos places, s'il y avait une chance pour qu'il survive et pas moi, je le ferai sans hésiter. Il avait une vie, mais j'en avais une aussi pourtant ca ne compte pas. Si j’avais été à sa place le monde s’en porterait bien mieux. Je l’ai bien compris merci. » Je vidais mon sac, je me libérais en parti d’un lourd poids qui me pesait depuis. C’était tombé sur elle. Elle devait subir malheureusement. Ce n’était pas dirigé directement contre elle. Je ne lui en voulais pas. J’en voulais à la terre entière ! « Allez tous vous faire voir. » concluais-je avant de tourner les talons et sortir de la pièce sans lui laisser le temps de réagir, d’encaisser.