Pourquoi est-ce que je suis revenu ? Je ne sais pas pourquoi je me tracasse avec cette stupide question, ça n'a pas vraiment d'importance au final. C'est ce que j'essaie de me dire pourtant ça tourne en boucle dans mon esprit. À cause de toi ? Parce que cette distance commençait à beaucoup trop me peser ? Parce que je ne supportais plus ce silence ? Ouais, peut-être, mais si tu me manquais tant que ça, j'aurais tout aussi bien pu essayer de renouer le contact depuis là-bas. J'aurais pu revenir vers toi, m'excuser, non pas que j'ai quoi que ce soit à me reprocher, mais je sais bien que tu les aurais attendues ces excuses à la con, alors j'aurais pu faire l'effort. J'aurais pu te reparler depuis le Sénégal, c'est une excuse bidon. Parce que tu me manquais ? C'est vrai, mais au point d'abandonner tous mes rêves pour toi ? Toi qui ne partiras jamais de ce petit village perdu au milieu de nulle part alors que tout comme moi, tu rêves d'ailleurs ? Ou alors parce que j'ai réalisé que je t'aimais ? Non, c'est stupide, tu le sais comme moi, entre nous ça ne fonctionnera jamais, ce n'est pas une histoire d'amour, c'est à peine encore une histoire d’amitié alors ne parlons pas d'amour ! Parce que j'avais le mal du pays ? Que mes parents me manquaient et que j'avais besoin de souffler un peu ? Oui, pourquoi pas, sauf que je sais que ce sont des mensonges, enfin, j'ai vraiment eu le mal du pays un nombre incalculable de fois, mes parents me manquaient aussi, mais je n'aurais pas envoyé chier mes rêves pour ça. Surtout qu'à l'heure actuelle, je ne suis même pas sûr que je vais repartir, je n'en sais strictement rien. Puis, il y a la raison un peu plus officielle, j'essaie de me convaincre qu'il s'agit de la vraie raison alors que j'ai un peu l'impression que c'est une excuse de plus. Andy. Si on m'avait dit que je reviendrais à Blossom Hills pour la petite Duncan, je pense que j'aurais vraiment explosé de rire et envoyé chier l'imbécile qui m'aurait sorti cette énormité, pourtant aujourd'hui c'est l'excuse la plus plausible que j'ai !
Les choses sont comme elles le sont pourtant et au final, c'est un peu grâce (ou à cause, ça dépend du point de vue) d'elle que je suis revenu. Ce n'était pas dans mes plans de revenir, du moins, j'y ai souvent pensé, mais je n'ai jamais été jusqu'au bout, jusqu'à ce jour où j'ai reçu ce message sur Facebook de mon père. Je ne sais même plus ce que je faisais et au fond, ça n'a pas vraiment d'importance. Je devais être calé au milieu du village pour souffler un peu, la tête dans mon téléphone parce que oui, même en plein milieu d'un village perdu au milieu de nulle part au fin fond du Sénégal, je captais le WiFi de partout. Ne me demandez pas pourquoi, j'avoue que je n’ai jamais vraiment trop compris, l'eau courante était un grand luxe et le WiFi une banalité. Du coup, je disais, je trainais sur mon téléphone sans aucun but précis quand j'ai reçu la bombe. « On a bien reçu les dernières photos de tes aventures à l'autre bout du globe. Jaeson, tu devrais songer à te raser, tu as vraiment une tête de con sur les photos ! Ta mère ne cesse de répéter que tu es en train de fondre à vue d'œil, enfin, tu la connais, elle panique totalement. On espère que tu te portes bien et pense à nous donner de tes nouvelles un peu plus souvent sinon je pense que ta mère va vraiment finir par faire une crise cardiaque (et tu sais que j'exagère qu'à moitié !). Ici, tout va bien. Ta mère va enfin prendre des vacances d'ici trois semaines et on va partir un peu à l'aventure. Oui, nous aussi on a décidé de partir avec un sac sur le dos pour découvrir un peu du pays pendant une semaine ou deux, à croire que tu nous inspires. On a eu les Duncan au téléphone tout à l'heure. Andy n'est vraiment pas au top, elle s'est fait agressée à la sortie d'une boîte. Elle va venir passer un peu de temps à la maison. Je sais que tu étais proche d'elle. Je pense que ça lui ferait plaisir que tu lui parles alors n’hésite pas à lui envoyer un message (évite de dire que c'est ton vieux père qui t'envoie quand même, y a mieux comme approche). On t'embrasse le barbu. Profite bien et ne nous oublie pas quand même ! Au fait, je t'envoie une photo de ta mère en train de découvrir son nouveau téléphone, crois-moi, ça vaut le détour. » J'aurais pu retenir un milliard de choses de ce message, pourtant, je suis resté en gros bug sur le passage concernant Andy. Elle revenait à Blossom Hills ? Elle allait vivre chez mes parents ? Elle qui aimait tellement sa nouvelle vie loin des cochons et des champs, elle qui ne cessait de me répéter il y a quelques années que BH c'était bien sympa, mais qu'elle ne se voyait vraiment pas revenir vivre ici sur le long terme. Putain, ça devait vraiment être grave !
Je me souviens d'avoir harcelé mon père pour avoir les détails. Comment ça elle s'était fait agressée ? Il s'était passé quoi au juste ? Et pourquoi elle venait à la maison ? Plus j'obtenais des réponses et plus ma décision s'imposait. La véritable raison de mon retour ? Un simple électrochoc ? Je vous ai dit, je n'en sais rien, je ne veux pas savoir tout ce que je sais, c'est que pour Andy c'était bien pire que ce que je croyais. Sur un coup de tête, j'ai toujours agi de cette manière donc pour quoi changer, j'ai demandé à mon père de me prendre un billet retour. J'ai géré mon départ en vitesse avec l'association, j'étais là depuis deux ans, donc j'aurais aimé prendre le temps pour faire mes adieux, mais j'avais l'impression qu'on avait besoin de moi ailleurs, j'avais besoin de rentrer. J'avoue que ça m'a brisé le cœur de partir, vraiment, je me suis vraiment attaché aux gens de là-bas, aux gosses, mais pas uniquement. J'ai eu dû mal à me dire que je quittais tout ça, mais intérieurement, je me suis fait la promesse de revenir un jour. Est-ce que je reviendrais vraiment ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais ça m'a aidé à partir.
Finalement, quelques jours plus tard, j'ai pris l'avion, j'ai retrouvé ma famille après plus de deux ans et je suis revenue dans notre petit village perdu. Le retour à la réalité a été vraiment violent, j'avoue que parfois, je ne me sens plus à ma place dans cette maison, dans ce village ni même dans cette culture en fait. Andy n'est toujours pas arrivée, elle ne devrait pas tarder et je ne suis toujours pas venu te voir non plus... Je ne sais pas comment rattraper les choses alors je préfère laisser passer un peu de temps avant de revenir te voir. Tu n'es pas passée non plus. Il faut dire que je ne sais même pas si tu es au courant de mon retour et si c'est le cas, je ne suis pas sûr que tu passerais de toute façon.
La sonnette me ramène à la réalité et j'arrête enfin de me prendre la tête avec des questions stupides qui ne me mèneront à rien de toute façon. Je me relève de mon lit et j'entends la porte qui s'ouvre suivie d'une conversation en bas. « Promis, je ne suis pas venue pour être une enfant terrible… Quoi que, vous me connaissez hein ! » Andy ! Je me mets à rire comme un con en entendant ses mots et je sors de ma chambre en vitesse bien décidé à l'accueillir comme il se doit. Je commence à descendre, je l'aperçois de dos et elle se retourne enfin. Et là, on dirait que la demoiselle aperçoit un fantôme. Elle reste un instant sur le cul et je suis fier de moi.J'ai bien précisé à mes parents qu'ils avaient plutôt intérêt à se taire sur mon retour et je vois que pour une fois, ils ont tenu parole. Je lui adresse un sourire et j'attends qu'elle réagisse, ça prend un peu plus de temps que prévu, mais on ne va rien dire ! « Jae’… » Je souris un peu plus, c'est bon, on est sauvé, la demoiselle se rappelle qui je suis ! Touche d'humour à part, je finis de descendre les quelques marches qui me restent et je lui lance. « Andy !!! T'as vraiment une sale tête ! » Je sens les regards noirs de mes vieux sur moi, mais je les ignore totalement. Je préfère utiliser l'humour avec la demoiselle, je sais très bien que ce qu'elle vit en ce moment est loin d'être tout rose, mais je pense que justement, elle va à la fois avoir besoin de soutien et de personnes pour lui changer un peu les idées. Je compte bien être présent pour les deux. Je m'approche d'elle et je la prends dans mes bras. Ce n'est pas mon genre, d'habitude, je fuis les contacts physiques, du moins, les signes d'affection de ce genre, mais aujourd'hui c'est différent. Je la serre un instant dans mes bras et je lui murmure doucement. « Ça fait plaisir de te voir... » Puis je me détache enfin d'elle, on ne va pas non plus se la jouer bisounours pendant cinq minutes, il ne faut pas abuser ! Toujours avec mon sourire aux lèvres, je lui sors. « Alors, tu viens squatter à la maison et même pas tu me préviens ? Tu voulais squatter ma chambre pendant que je suis pas là c'est ça ? »