JAIME - the needle and the damage done

Le père c'est synonyme de peur.
 Fils unique d'un membre influent de la mafia irlandaise. Écrit comme ça, c'est plutôt cool. Ça veut dire, ton père a la classe et toi personne ne pourra jamais te toucher. Mais pour un gosse comme Jaime, avec ses grands yeux bleus qui regardent le monde avec toute la délicatesse du monde, dont la sensibilité accrue le pousse à tout toucher tout doucement, toujours avec la pulpe des doigts, c'est une catastrophe. Bercé par l'énorme tendresse de sa mère, toujours raillé et martyrisé verbalement par son père, il s'est trouvé trimballé entre un extrême et l'autre. Sa survie mentale, son affirmation de soi il la doit à Cain, et à Sheamus. Forcément pour Sheamus dont Jaime n'était pas le fils mais le parrain c'était beaucoup plus acceptable qu'il soit si calme et mesuré. Il avait l'habitude de lui ébouriffer les cheveux en faisant remarquer que dans les films de gangsters, le calme de la famille devenait toujours l'avocat de service, et que c'était bien utile. Il y a toujours eu ce sous texte de "tu n'es pas le bon fils, celui que j'aurais du avoir. Cain, si". Jaime ne développe aucune jalousie à l'égard de son presque frère, son jumeau. Il est trop mesuré pour ça, et il lui est trop nécessaire.
Jaime ne deviendra pas l'avocat de la famille. A huit ans, il faut toute la patience qu'il a déjà mise de côté pour comprendre que ton père et ton parrain, malgré tout les deux piliers de ta vie, sont morts pour toi et pour ton jumeau de cœur. Pour toi petite larve de rien du tout. Ça signifie: tu es une chose minuscule, tu ne sais même pas encore comment on fait les enfants mais j'ai tamponné sur ta gueule le label mafia irlandaise, tu es obligé d'être un malfrat et un salaud, tu n'as pas le droit d'y réfléchir, tu n'as pas à faire le choix de ton avenir. Il trouve l'idée beaucoup plus violente que tout ce qui arrive dans la mafia, que quand son père revenait roué de coups la gueule à peine humaine, que quand il touchait à sa mère et que ça gueulait dans la cuisine, que quand il a vu le dernier sang couler des veines du père, du parrain et du saint esprit. Il ne sait pas si Cain comprend que leurs mères les abandonne non pas parce qu'elles n'en ont rien à foutre d'eux mais pour les protéger, et sa délicatesse l'empêche d'aborder le sujet avec lui. Il n'a pas envie qu'il croie qu'il le prend pour un imbécile, ou qu'il se sent supérieur à lui. Il veut être celui toujours là pour le soutenir, celui qui jamais ne le dira ou ne le prendra pour un con.

La vie à travers la vitre
Tout semble se dérouler dans un aquarium dont il est le spectateur extérieur. Cain est son seul lien au monde. Le foyer pendant des années, les parents qui rechignent à adopter deux gosses aussi fusionnels alors qu'ils ne sont pas frères, si différents et compliqués à gérer chacun à leur façon. Chaque tentative de famille est un nouveau paysage, aucune ne dépasse la vitre des yeux de Jaime. C'est du flou sur du flou, des noms qu'il ne retient pas mais qu'il répète comme un pantin parce qu'il faut tenir son rôle de poli, convenable du duo. A travers ce brouillard infâme où il se sent reposer comme un grand fiévreux qui voit à peine dans l'interstice de ses paupières à moitié closes il y a qui dépassent comme des explosions terriblement joyeuses, de la vraie vie, les fous rires avec Cain, les histoires sans fin et les ombres sur leurs murs. Les premières beuveries initiées par lui, les premières conneries aussi. Toujours l'un là pour équilibrer l'autre.
Et soudainement les McKay. Une première bouffée d'air, une première vraie potentialité d'avoir une famille agrandie. Et Anna, un premier amour idéal. Quand Jaime se penche au dessus de son verre de whisky, toute nouvelle coutume, et de toute cette histoire, il se trouve bien naïf de n'avoir pas compris avant. De s'être malgré lui infligé la douleur des images qui restent fixées dans le cerveau Les sous vêtements à terre, le bordel des draps encore chauds, les bouts de corps nus qu'il aurait aimés voir autrement et ces visages si familiers, si aimés, qui deviennent des excuses, de la gêne et de la colère. Espèce d'enculé ! Tu savais que je l'aimais et tu la baisais pendant tout ce temps, fils de pute ! Tu es la pire chose qui ait pu m'arriver, je n'aurai jamais du te suivre la première fois que tu t'es fait virer. Un bon poing dans ta gueule. Merci de ton "enfant de putain" qui me renvoie à la gueule toutes ces années où j'ai été là à rien te reprocher parce que tu étais mon frère et mon pilier, merci de mon premier amour que j'ai vécu si fort et que tu me balances à la gueule parce qu'il fallait que tu craques pour cet enfoiré, évidemment, avec lui c'est si facile. Et Jaime le calme qui ne réfléchit plus, Jaime qui cogne comme son enfoiré de père, Jaime qui ne cherche pas à se venger mais qui cherche la mort, point final. Et quand le père McKay arrive ça sonne comme une pause dans la mort de Cain, rien d'autre.
Les jours passent, Jaime ne parle plus à Cain, il trouve soudain drôle le parallèle avec la signification biblique du prénom de son faux frère. Il se sent Abel mais ne mourra pas. Ce qui l'effraie cependant c'est ce qui est né de ce jour là en lui. Cette violence sous jacente qui le bouffe des pieds jusqu'aux entrailles les plus profondes. Cette force qu'il ne contrôle pas, à qui il n'a jamais eu affaire, et qui menace à chaque seconde d'exploser. Peu à peu il perd la délicatesse de ses gestes, la bonté absolue au fond de ses grands yeux bleus. Ça le terrifie et à la fois il a envie de s'y plonger sans retenue. Dénoncer la came aux flics c'était de la lâcheté absolue. Mais c'était le dernier effort de Jaime pour essayer de contenir la rage nouvelle née en lui comme une tornade. C'était ça où tuer Cain le plus lentement possible, et le faire, vraiment, et y prendre plaisir. Puis ne plus jamais s'arrêter ni se retrouver.
Il essaye depuis de retourner à la vie à travers la vitre. De maintenir l'illusion qu'il a du recul sur les choses et qu'il ne crève pas d'envie de tuer tout le monde. Par quelques contacts sous terrains il parvient à s'inscrire à un fight club clandestin qui a lieu deux fois par semaine dans une cave pitoyable. Il a des bleus partout. Il parvient à maintenir la fenêtre, en mentant à lui même et aux autres, de vie à travers la vitre. Mais maintenant c'est la vie avec un trou dedans.